L'homme déambule, imperturbable dans cette cité qu'il a conquis il y'a bien des années.

Sa démarche est celle nonchalante et indolente de quelqu'un qui sait que nul ne va se mettre en travers de son chemin. Ici, chacun sait qui il est, et si bien des gardes en armure le regardent avec méfiance, voire avec défi, ils s'écartent tout aussi simplement que les autres. Ils savent que si les yeux sombres du combattant se posent sur eux, ils pourraient ne pas rentrer chez eux.

Pourtant, il est simplement vêtu d'un hakama noir, de sandales de bois, et d'une tunique blanche, sans aucune arme. S'il est vrai que son expression est vide, creuse, qu'il a peut être même l'air idiot, son visage n'en est pas moins concentré. Qui peut réellement dire ce qu'il se passe, derrière cet air neutre ? Rien de précis, en vérité.

Ce matin, il est sorti pour se promener simplement, lorsqu'il l'a senti. Sous son propre nez. La puanteur, l'indigne sensation que lui procuraient toujours les yeux. Et s'il pouvait l'excuser à son petit frère, il ne pardonnait jamais à ceux qui n'étaient pas sous la protection, fut elle temporaire, des Sosuke. Depuis, il le cherchait. La chance, la destinée, ou peut être bien la simple connerie de ses adversaire faisait qu'ils avaient toujours des apparences distinctives.

Jamais ils ne se fendaient assez dans la foule. Cela aurait il compliqué sa tâche ? Dur à dire, ses instincts ne le trahissaient jamais... Et en parlant de ça...

Son regard s'était finalement posé sur elle. Elle, aux cheveux blancs et noir. Elle, aux yeux couleur de sang, plutôt que de flammes. Elle, qui trépasserait bientôt.

Quelle plaie, de devoir se battre en plein milieu d'un marché.

Avec un soupir, il saisit le tsuka du katana d'un garde, et avant que ce dernier puisse protester, il prend appui, et se jette sur sa cible en un unique bond, sans prendre garde aux personnes qu'ils renverse sur son chemin. Dans quelques secondes à peine, la rue serait vide.

Dans quelques secondes à peine, il pourrait se défouler.

Pour l'instant, son regard est planté là où sa lame va arriver : entre les épaules de la femme, juste sous sa nuque.

Lord Bluthund arpentait les rues de la ville à huit têtes pour la première fois, fasciné par l'effervescence du marché de l'armement. Les étals débordaient de curiosités, attirant une clientèle aussi diversifiée qu'espérée. Des redoutables guerriers qalishi aux nobles chevaliers meridiens, en passant par les fiers chefs de clan halogiens, tous convergeaient vers le Quartier Fujiwara.

Pourtant, au milieu de cette foule bigarrée, l'allure froide et majestueuse de Lord Bluthund se distinguait nettement. Son manteau orné d'une fourrure dense de garn lui conférait une aura régale, réchauffant généreusement son cou et attirant les regards admiratifs.

Après avoir exploré le marché avec attention, la seigneur se préparait à repartir le lendemain. C'était son avant-dernier jour sur l'archipel, et elle avait l'intention de remplir les cales de son navire de canons à poudre magnétique pour équiper les remparts de sa demeure. Mais il était temps de regagner le quartier résidentiel pour y songer plus calmement.

Avec un sens du luxe et du confort digne de son statut, Lord Bluthund avait réservée une suite "royale" où elle pouvait se retirer en toute tranquillité. Ici, sur cet archipel où les nobles avaient été remplacés par des bourgeois fortunés, l'argent avait pris le pas sur le sang. Une situation qui convenait parfaitement à Lord Bluthund, car elle possédait à la fois la richesse et la pourpre décorée du moins, jusqu'à présent.

Soudain, une ombre furtive surgit de la foule, attirant l'attention de la louve in extremis. Bien qu'elle ait remarqué la silhouette auparavant, elle ne l'avait pas considérée comme mémorable parmi les autres visiteurs. Mais cette pensée ne fit qu'un tour alors qu'elle devait esquiver son assaut meurtrier.

Par instinct, Lord Bluthund pivota sur son talon pour esquiver en partie l'attaque, mais elle ne put éviter entièrement la perforation. La lame déchira sans pitié son trapèze droit, la faisant reculer d'un saut arrière pour évaluer sa blessure. Elle saignait abondamment et ricanait de l'ironie du sort, à Orochi tous perdaient le droit à la noblesse, hein ?

Son bras principal hors d'état, elle tenta avec peine de saisir son épée de la main gauche, tandis que son assassin aurait amplement le temps de fondre à nouveau sur elle. Cette simple présentation suffit à mettre en alerte les visiteurs, bien que certains prirent les armes pour se liguer contre le meurtrier kuroïte, l'entourant alors dangereusement tandis que d'autres s'échappaient pour prévenir les autorités. Quoi qu'il en soit, cette rixe allait durer quelques minutes tout au plus.

Tenir en laisse une vipère comme lui ? La sorcière s'en sentait capable.

Elle bouge bien. Ses instincts sont émoussés, mais son corps est entrainé.

Aux confins de sa vision, il voit les quelques inconscients qui ne sont pas partis en courant en le voyant attaquer. Ils vont et viennent, ceux-là... Parfois, sa réputation est suffisante pour les faire fuir, comme les autres, et parfois, elle les attire, au contraire. Jeunes fils de princes marchands, aventuriers venus d'ailleurs, ou même gardes trop zêlés. S'en débarasser est une sinécure. A une époque, il les tuait sans y regarder. Quiconque se mettait entre ses proies et lui acceptait de remettre en cause sa vie... Mais les Sosuke avaient demandé à ce qu'il limite les victimes collatérales. Tant pis.

Sa charge s'est terminée par une glissade sur les genoux, et il se relève lentement, laissant les trois crétins l'entourer, tandis que sa véritable cible recule légèrement, se saisissant de son arme. La façon dont elle a légèrement plus tendu ses doigts pour chercher la poignée de son arme qu'une combattante expérimentée, malgré son talent évident, indique que c'est son bon bras que tu as mutilé. Ce qui, cette fois, en dit plus long sur elle que sur toi. Son esquive était bonne, mais cette nouvelle information la rend médiocre.

Enfin, pour l'instant... Le premier de ses nouveaux adversaires lui fonce dessus, dans un mouvement de taille basique, mais vif. Un autre que lui aurait peut être subi le coup, mais d'une simple rotation du torse, il la laisse filer devant lui, tandis que son poing droit vient trouver la rate de son adversaire, et le jeter au sol. Sans transition, et sans lâcher le sabre qu'il a volé, il vient faucher les jambes de ce crétin tout en le jetant sur un deuxième  combattant. Ils s'effondrent l'un sur l'autre, tandis qu'il bondit sur le dernier, le frappant du plat de sa lame à la tempe. Dans un cri de douleur, il est projeté sur le côté et roule sur le sol, tandis qu'il se tourne vers sa première cible, reprenant une posture proche du sol, la jambe droite presque tendue devant lui. Il tient son katana dans sa main gauche, et sa main droite est presque au bout de la lame.

"Utilise ton oeil. Tu ne veux pas mourir sans avoir tout donné..."

Son statut de Seigneur l'avait précédemment préservée de telles situations. Aucun de ses hommes n'aurait osé l'attaquer sans son consentement, et l'hostilité d'Halogia semblait ignorer les assassins. Elle avait baissé sa garde, se croyant invincible, mais se retrouvait maintenant face à un adversaire à sa mesure, sinon plus redoutable.

D'un simple regard, il avait discerné sa préférence pour la droite, et avec quelques mouvements agiles, il avait neutralisé les plus vaillants combattants présents au quartier des armes. Sa démonstration de force avait dispersé la foule, laissant derrière eux la sorcière blessée, gisant dans son propre sang. Son regard se perdit un instant sur les fuyards avant de revenir à la réalité.

Avait-elle perdu trop de sang ? Malgré la provocation, elle ne laissa échapper qu'un rire dément. Sa vanité était touchée, la rendant vulnérable, une situation qui ne manquait pas de la mettre dans l'embarras. De cette lueur d'humiliation naquit sa colère, son ton s'assombrissant sans quitter le naturel de sa carrure, son arme serrée dans sa main gauche avec une incertitude évidente.





Sa condition était pitoyable, blessée et incapable de se battre de sa senestre, seule main valide. Pour ajouter à son malheur, elle avait la fâcheuse habitude de s'emporter plus que tout autre, une déception probable pour son adversaire qui attendait peut-être davantage d'une utilisatrice de l'Œil divin, à moins qu'elle ne représente qu'une étrange et ordinaire moyenne de ces êtres bénis. Cependant, un observateur attentif aurait peut-être remarqué que, dans son élan furieux, la femme préparait un sortilège de sa main blessée. C'était plutôt inhabituel, mais à la hauteur de l'animal.

Elle était de la plus fragile et faible des races.

La démonstration de puissance de Darui était impressionnante, et en avait fait sombrer plus d'un dans la panique. C'était une réaction naturelle, et parfois salvatrice. La peur permettait au corps de réagir plus vivement, elle tendait tous les muscles, débarassait un individu de tous les mouvements inutiles au combat. Lorsque l'on avait peur, on ne digérait plus, on n'était pas pris de grattements, de picotements, on n'avait ni faim ni soif. La peur transforme un individu en une machine. A courir, à se battre. Une machine capable de dépasser tout ce que l'humain qui les précédait pouvait faire.

Mais la colère... La colère était une bien piteuse alliée. Darui s'en était rendu compte depuis qu'il avait échoué à tuer celui qui deviendrait son petit frère. Elle transformait chaque vexation en obsession, chaque souffrance en martyr. Elle rendait irrationnel, et, pire que tout, elle faisait présumer de ses forces. En cet instant, après son hurlement, elle se pensait peut être à son niveau, alors même qu'elle était blessée, mutilée même. Elle n'avait aucune chance, et il ne voyait pas de raisons de prolonger ses jérémiades. Un seul mouvement, et il pouvait en finir d'elle.  

Cependant... Il voyait là une occasion unique. Les Yeux... Il les haïssait. Sans fin. Sa haine était sans commune profondeur avec la colère de la jeune femme. Cette haine aurait pu être une bien piètre alliée, elle aussi, mais elle permettait au contraire d'aiguiser sa concentration, d'affiner les capacités de son corps à l'infini. Elle était un feu au dessus duquel il forgeait ta légende. Et cette haine le guidait vers une autre voie. Celle de sa Souffrance. Une véritable souffrance, et pas la délivrance trop clémente de la mort. Après tout, n'était ce pas une autre utilisatrice de Pyro qui avait détruit tous ses rêves ?

Il comprit ce que la jeune femme tentait de faire avant même qu'elle ne soit à mi-distance. Son attaque était informe, en utilisant sa mauvaise main, et elle n'avait aucune chance de venir à bout de lui. Sa botte secrète résidait dans sa main droite. Il pouvait sentir l'énergie s'y accumuler, et même brûler, d'ores et déjà, sa peau, sa chair, ses os... Tout cela devait toujours rester à son esprit.

La Peur était une alliée précieuse.

Un pas.

Tu t'avances vers elle, relâche ton arme, et la saisit par la lame de la main gauche, au vol. Tu auras besoin d'une lame courte.

Deux pas.

Tu sens l'acier mordre ta chair, et laisse la peur et la haine monter en toi.

Pas un pas de plus.

Elle arrive, abat sa lame, mais tu sais que ce n'est qu'une feinte.

Finalement, le troisième pas.

Tu redresses les bras. Ton avant bras droit frappe son bras armé juste sous le poignet, suffisamment pour repousser sa lame, tandis que la lame de ton katana traverse son avant-bras droit entre son radius et son cubitus, avant qu'elle ne puisse libérer son sort. Sans perdre un instant, d'une rotation du poignet, tu disloques ses os, et, d'un coup de talon dans l'abdomen, tu la repousses violemment, la jetant au sol, le katana toujours planté dans le bras.

"Tu te trompes... Tu n'as pas le droit de me toucher, chienne. Vis avec cette humiliation, maintenant, mais sache une chose... Lorsque tu seras sur le point de devenir une déesse, je viendrai te tuer. Que cette cicatrice soit le gage de ma promesse... Et la marque de ton humiliation."

Son geste fut interrompu net par une estocade habile du Père du Sommeil. Asta se figea, crispée par la douleur, tandis que son sort se dissipait lentement, éteignant l'éclat écarlate de ses pouvoirs. Le Seigneur se retrouvait à sa merci, vaincu et humilié, incapable même de le toucher, sauf quand il l'autorisait à le faire, comme en témoignait la morsure de sa lame sur sa paume. Un prix qu'il était prêt à payer pour jouir de cette impudente provocation.

Profitant de ce moment "calme", de cette pause gelée dans le temps, Asta le scruta du regard, le jugeant, le maudissant peut-être même, avant de laisser apparaître un rictus carnassier. Un sourire de mauvais perdant, que Darui attendait peut-être, probablement même ?

De la part d'une femme comme elle, cela n'avait rien de surprenant. Elle serait prête à sacrifier son corps pour sauver son image, même si sa tenue délabrée et ensanglantée témoignait d'un désastre récent, contrastant avec la parure soignée qu'elle arborait quelques minutes auparavant.

Le brasier occulte dans sa paume s'illumina de nouveau, malgré la douleur infligée par l'entaille de l'assassin, la surcharge d'énergie semblait intensifier le sort. Cela ressemblait à l'incantation d'une boule de feu classique mais en une fraction de secondes l'éclat irradiant dévoila quelque chose de plus intense, presque incontrôlable.

Un gémissement mêlé d'excitation s'échappa de ses lèvres avant qu'elle ne rouvre les yeux, fixant Darui avec une joie perverse. Avant même que sa lame n'achève sa course pour sévir son bras.








Asta, en proie à la douleur, émit un rire hystérique avant de déclencher une explosion occulte à bout portant, se faisant ainsi littéralement imploser avec son adversaire.

Le quartier déjà déserté fut plongé dans le chaos, la fumée et les flammes se propageant rapidement sous une épaisse fumée noirâtre. Les lieux étaient maintenant à feu et à sang, seulement les siens.

Plongée dans les ténèbres des cendres de l'explosion, elle arracha le katana de son bras en vociférant un hurlement strident munit d'une insulte puis se mit à prendre la fuite, laissant peut-être son épée d'acier froid marquée de l'héraldique d'un loup derrière elle et quelques effets personnels.






Elle ne connaissait pas Orochi, dévalant les allées en repoussant tous ceux qui se trouvaient sur son chemin, complétement dévêtue du haut, il ne restait de ses atours distingués que des haillons calcinés, une chance qu'elle était au moins partiellement résistante à ses propres flammes, autrement elle ne serait plus là pour courir.

Sa course, tout comme son combat, laissaient à désirer, la surcharge d'énergie lui avait coûté cher, et elle peinait à maintenir le rythme avec ses blessures. Mais elle savait qu'elle ne pourrait pas fuir éternellement... Astaroth était toujours absent. C'était typique de lui : jamais là quand elle avait besoin d'aide, mais prompt à la mettre dans le pétrin ou à servir ses propres desseins.

Elle pouvait au moins utiliser sa magie en échange. Sans cela, elle serait probablement morte à l'heure qu'il est. Mais il était clair qu'il ne renoncerait pas. En observant ses traits fins, elle ne pouvait s'empêcher de remarquer qu'il était d'ici. Son talent dépassait de loin tout ce qu'elle avait jamais vu, ce qui signifiait qu'il la retrouverait s'il le voulait.

Cependant, les gardes, alertés par le vacarme, finiraient par les retrouver, lui ou elle. Donc, elle décida judicieusement de ne pas s'enfuir davantage. Elle trouva un coin caché entre deux maisons traditionnelles kuroïtes et brûla ses blessures avant de se lancer dans cette entreprise. Elle resterait là jusqu'à ce que le calme revienne.

Après tout, même lui ne pouvait échapper éternellement à la justice. Du moins, elle l'espérait.

Les yeux avaient une présence écoeurante.

Il était dur de dire si c'était une odeur, une sensation d'humidité sur la peau, ou un gout en travers de la gorge... Peut être un peu de tout cela. Yaslan détestait cette sensation, et si Darui avait appris à la tolérer, elle l'énervait toujours. Elle rendait sa bouche sèche et lui donnait envie de partir, ou d'éliminer le porteur. Cela suffisait à réduire la puanteur. Et, inversement, plus le porteur était puissant, et plus la sensation était poisseuse et importante. L'avantage des récents événements où les yeux apparaissaient par centaines, c'était que la majorité étaient incompétents, et ce n'était donc pas une trop grande souffrance que de devoir les endurer...

Mais jamais n'avait il senti pareille puanteur.

Réagissant par instinct pur, le Père du Sommeil lâcha son arme, et donna un nouveau coup de pied dans l'abdomen de la créature face à lui, pour la repousser, mais aussi pour se propulser dans l'autre sens. Aussi vite que possible, ne lésinant sur aucun effort, il se jette dans un magasin, par dessus une petite table où le marchand disposait ses babioles. Tout en passant au dessus, il saisit un coin du tissu le recouvrant, et tourne sur lui même pour s'y enrouler avant même de toucher le sol.

La déflagration passe au dessus de lui, mais l'odeur de chaud est insoutenable. L'air quitte ses poumons, remplacé par une putride sécheresse, et il se retient de perdre connaissance pour se relever, jeter le tissu enflammé loin de lui, et observer autour de lui, s'interdisant de respirer. L'entrée du batiment est en feu, mais elle n'est pas seule. Le monde entier semble engouffré dans les flammes. Tant pis, il doit partir, ou il succombera aux fumées et aux flammes.

Dans un nouveau bond, il traverse les flammes en sens inverse, et ne prend même pas le temps d'observer le chaos. En revanche, il repère immédiatement un éclat métallique, au sol. En quelques bonds, il y parvient, le récupère, et le glisse à son obi, avant de reprendre sa course. La créature a disparu, et elle ne devrait pas reparaître... Pas mutilée comme elle est, et après avoir probablement épuisé ses forces... Alors il monte sur un toit d'un bond, et traverse ainsi la ville, invisible dans le chaos, inaudible dans les appels à l'aide hurlés de part et d'autre.

Enfin, il soupire, et se calme.

Les flammes... les flammes des yeux Pyro ne sont pas ainsi. Moins sombres, moins violentes. Ce qu'il venait d'affronter n'était pas un simple porteur d'oeil, et pourtant, il n'avait rien d'une incarnation divine. Doucement, il porta la main à l'arme qu'il avait consignée à sa ceinture, et la dégaina lentement. Un loup... Un symbole commun, mais combien de nobles arrogants utilisaient une magie dérivant de Pyro ? Il la tiendrait à l'oeil... Mais pour l'instant, il devait en savoir plus.

Avec un sourire, il se dirigea vers le domaine de sa famille. Eux sauraient le renseigner.

Elle s'était jurée il y a des années de ne plus jamais ramper dans la fange à nouveau. Et pourtant, là elle était, faiblement allongée, baignant dans son propre sang mêlé à la boue des fondations d'une maison kuroïte, probablement la demeure de roturiers modestes.

Elle prit son mal en patience, attendant patiemment que la nuit tombe et que la pénombre lui offre un peu de couverture. Enfin, elle parvint à s'extirper de cet endroit lugubre, non sans ressentir les courbatures de ses multiples blessures encore fraîches. Chaque mouvement était une souffrance, mais elle continua malgré tout.

Au fil de son chemin, elle effraya quelques soûlards en trainant sa carcasse meurtrie, mais elle ne se souciait guère des regards des autres. Tout ce qui comptait pour elle, c'était de rentrer chez elle, dans ses quartiers émissaires, où elle pourrait enfin se reposer.

Arrivée à bon port, elle fut prise en charge par ses hommes, qui étaient en alerte depuis l'incident du Quartier des Armes. Elle se délesta de sa conscience dans une source d'eau chaude, où elle se laissa chuter, savourant chaque instant de soulagement que lui offrait le bain revigorant.

Enivrée par les vapeurs chaudes du puits apaisant, Asta ne vit pas Asta dans le reflet bouillant, mais Astaroth.





















D'un geste brusque de la main, Asta troubla l'eau et pencha sa tête à l'extérieur de la source chaude, accoudée contre l'un des rebords. Son corps nu profitait de l'onguent hydrophobe octroyé par l'une des prêtresses kuroïtes qui servait d'hôtesse au Lord dans ses déplacements. Elle se délectait du massage de ses mains douces sur son corps galbé par l'effort et les crampes, s'abandonnant peu à peu au sommeil.

Cette nuit-là, ses appartements étaient tous surveillés par ses soldats, tous vêtus d'une tenue noire ornée d'une imposante fourrure.

Pendant ce temps, son Général venait tout juste de rentrer dans la cour du manoir où résidait la Lord. Il s'était rendu sur les lieux de l'incident, sachant pertinemment que son seigneur y était mêlé. Ces cendres occultes pouvaient bien tromper la populace, mais quiconque avait vu le Lord Bluthund à l'œuvre savait qu'elle était derrière ce carnage. Mais qui avait bien pu la renvoyer dans cet état ? Cette simple pensée suffit à faire monter l'adrénaline en lui tandis qu'il ordonnait sommairement une ronde à ses hommes. Les troupes de Bluthund reprendraient la mer au petit matin.

Le sermon de son père ne l'intéressait pas.

Il entendait parler des victimes civiles, des marchandises perdues, et des gardes blessés. Quel besoin avaient eu ces gardes de se mettre sur son chemin, avant tout ? Il ressentait une ombre de culpabillité pour les blessés et les marchandises qu'ils avaient perdues, mais il savait que la famille les dédommagerait à hauteur de leur perte. Ce qu'il ne comprenait pas, en revanche, c'était l'impossibilité pour un prince marchand, un fin diplomate, et tout ce qui s'ensuivait de voir la récupération qui pouvait être faite de tout cela.

Mais non, trop engoncé qu'il était dans son obstination de ne pas condamner les yeux. Cela aurait mis en danger Kira, mais surtout, bien plus précieux à ses yeux, l'ordre établi. Ces gens refusaient de comprendre que le danger que lui même représentait n'était rien face à la violence que déchaineraient tous ceux qui aspiraient à devenir des dieux, pour réaliser leur "rêve". La femme au loup n'était rien de plus qu'un exemple de cela. Et il la tuerait, comme les autres.

Sans finir d'écouter le sermon de l'homme face à lui, il regagna ses appartements, et se dirigea vers la grande bibliothèque où il emmagasinait tout le savoir possible sur les yeux et leurs porteurs. Rien n'indiquait quoi que ce soit au sujet de ces flammes sombres. Peut être, en réalité, était-ce simplement un avant-gout des réelles flammes de la divinité. Peut être que cette femme serait le prochain Dieu Pyro, et que les autres n'étaient que des épreuves sur son chemin... Mais si c'étiat le cas, la tuer devenait encore plus important.

Avec dépit, il se releva pour se rendre à la chambre de l'archiviste de la famille, ignorant l'heure, ou bien tardive, ou bien singulièrement matinale, et frappa avant d'entrer, sans cependant attendre une quelconque permission. Ce n'était pas la première fois qu'il agissait ainsi, et si le pauvre archiviste avait trouvé à s'en plaindre, cela ne semblait pas déranger Darui plus que cela. Il avait besoin de réponses, et il n'aimait pas attendre. Et qui d'autre pouvait connaitre l'héraldique mieux qu'un archiviste ?

Asta Bluthund... Une noble. Cela expliquait son caractère... Mais cela voulait aussi dire que la tuer causerait dees incidents diplomatiques à n'en plus finir. Pourtant, il ne pouvait reculer, devant une possible déesse... Il devait la détruire, et surtout, s'assurer qu'elle soit morte pour de bon. Pour tout ce qu'elle représentait... Mais Halogia n'était pas comme les autres pays... Il allait lui falloir du temps pour préparer ce ovyage, et peut être plus encore pour prévoir un plan pour la tuer. Ce n'était pas grave, il avait le temps.

D'autres missions passaient avant. Le lendemain, il partirait chasser un autre oeil, mais il savait maintenant où la trouver.

Asta Bluthund n'échapperait pas à la mort une deuxième fois.