La nuit est douce dans les rues de Rivellon. La brise s’amuse à donner au passant quelques frissons de sa main délicate et fraîche. Il n’y a point de neige ici, mais la caresse du vent suffit à pousser quelques personnes à entrer dans les tavernes. Il parait qu’en ces temps, il ne faut pas se découvrir d’un fil, les bonnes gens cherchent donc un peu de tiédeur. Et rien de mieux que l’abri offert par les quatre murs d’une auberge ainsi que la chaleur dégagée par son feu pour se mettre bien. Il existe une autre forme de feu que vend ce type d’établissement que tu affectionne beaucoup. L’alcool, le saint graal des inventions de ce monde. Plus le liquide dans le verre ressemble à l’eau clair d’un ruisseau, plus il brûle la gorge et échauffe les corps, douce contradiction qui t’amuse. Rien n’est vraiment capable dans ce monde de ne serait-ce que te réchauffer un peu ton être. Sauf peut-être celle qui râle au fond de ta tête, l’entendre te doucement grogner entre l’amusement et l’agacement. Elle chiante cette petite voix et ça te plaît de la contrarier, mais sa voix si aiguë t’énerve aussi profondément. Tu as commencé par une petite bière il y a plusieurs heures maintenant, tu pensais boire très tranquillement. Ce qui n’a guère duré. Car chose très amusante tu plais aux hommes et certains aiment t’offrir à boire. Ta plastique à des avantages indéniables, tu l’apprécies beaucoup ! Tu refuses jamais ce qui t’es offert, ce serait si malpoli. Le problème c’est qu’on a visiblement à faire à un individu mal intentionné.
Dans ta longue crinière blanche tu as senti à plusieurs reprises ses doigts. Ta chevelure s’accroche à sa main rugueuse et un frisson de dégoût te parcourt. Ton corps est superbe, mais il a quelques mécaniques que tu ne peux pas contrôler et ce mec est en train d’en titiller certaines. La nausée te prend légèrement, il va ruiner ta soirée.
La chialeuse au fond de ton crâne se fait de plus en plus bruyante. Tu veux boire encore, mais ça va être compliqué de pas rendre tout ce que tu as bu s’il continue son manège. Après lui vomir dessus serait sûrement un moyen de le faire partir très vite, mais tu n’es pas sûr que le tavernier soit ravi, puis quel gaspillage se serait… Tu te lèves lentement, lançant un regard froid à l’homme assis à côté de toi. L’option que tu as choisi de prendre c’est de partir pour aller dans une autre auberge en laissant le pauvre type là sur sa chaise. Mais il te retient pour le poignet, maintenant elle n’est plus hystérique, elle est terrorisée et ça fait chier. Un autre grognement passe tes lèvres tu as envie de le massacrer. Il gâche tout ! D’une voix ferme, tu demandes.

“ - Lâchez-moi !”

La discrétion est votre plus grand allié, alors si ça peut ne pas finir en tempête de glace au milieu de la taverne se serait pour le mieux.

Son entrave brûle ta peau. Tu ne doutais pas qu’il avait de la poigne, mais à vrai dire tu aurais préféré ne pas en faire l’expérience. C’est la panique à bord du bateau et tu as de plus en plus de mal à ne pas dégobiller. Il te faut une énergie de diable pour rester debout et pour ne pas baisser les yeux. Il est bien beau l’emballage mais ce qu’il y a dedans est doublement pourrie. Tu es plus tendu qu’un vêtement repassé à l’amidon à l’instant. Encore un peu et ton contrôle saute. Dans un élance presque désespéré tu hausse la voix et fait nettement comprendre ton désintérêt à cet homme. Parfois c’est suffisant, la honte les prend quand les regards tombent sur eux lourd de leur jugement et ils s’en vont. Mais celui-ci fait fi de ces choses là. Il te laisse pas le choix.

Et alors que tu étais sur le point de laisser l’hiver entrer dans la taverne, un autre homme entre en scène. Quand il t’appelle : mon amie, tu te demandes ce qu’il te veut lui aussi complètement sur la défensive. Tu es sur tous les fronts, le premier pour ne pas céder ta place à la propriétaire des lieux et le second pour ne pas te laisser entraîner par ce type. Tu essaye pourtant de faire quelque chose qui va dans son sens ce soir, ça te gave qu’elle te prenne la tête au pire moment. Le bougre te demande pardon pour son retard, qu’il aime ce que tu as fait à tes cheveux. Mais ils sont lâchés, qu’est ce qu’il raconte ? Il a trop bu lui aussi ? Ca ne peut tout de même pas passer… Si ? Il donne de l’argent à l’individu, qui glisse l’argent dans sa poche mais qui ne lâche pas ton poignet pour autant. Il se retourne vers toi.

“ - Quelle salope, tu avais l’intention de passer du temps avec combien de mecs ce soir ? ”

Il balance ton bras comme si tu étais rien de plus qu’un vulgaire déchet. Le brouhaha de la taverne blindée ne parvient plus à tes oreilles. Il y a un silence autant de ta part que de celle de ta colocataire qui sur ces mots est allée se terrer dans un coin. Les mots de cet sous merde ne te font pas grand chose, ce qui te choque c’est la soudain extinction de Mishka. Elle qui, il y a une seconde encore voulait reprendre la main, a presque disparu. Tu ne sais pas trop quoi faire sur le coup. Ton corps est tétanisé et l’hôte ne répond plus. L’homme s’éloigne sans autre forme de procés, te laissant là. Tu préférais presque qu’il revienne et que de colère tu puisses débloquer le système.

La première fois que tu as entendu ce mot, ça remonte à si loin. Tu ne devais pas avoir 1 an, mais il ne t’était pas spécialement adressé ce soir-là. Et l'innocente enfant a tout naturellement pensé que ce mot était juste le prénom de ta mère. Après tout papa ne l’a jamais appelé autrement devant toi ou alors tu étais déjà inconsciente à ce moment-là. Ce simple mot te tire si loin en arrière, il te ramène à Halogia ; dans le froid et la violence de ton foyer. T’écrasant face contre le sol sous le poids de son pied sur ton corps si frêle. Pas grand-chose n’a changé depuis lors, tu es toujours aussi insignifiante qu’un insecte.

Des picotements te parcourent les membres comme un millier d'aiguilles qui épingleraient un papillon rare dans un cadre te rendant incapable de faire quoi que ce soit. Le chaud et le froid dansent dans ton corps, aucun ne prenant le pas sur l’autre et rendant les sensations toujours plus floues. Sa bourdonne dans tes oreilles, tout ça est particulièrement inconfortable. Les secondes se sont changées en éternité. Tu es là, bloqué dans de la chair qui refuse de te répondre, toujours un peu plus prisonnier de ce corps que tu pensais être une aubaine.

La mémoire imprimée dans tes muscles sait combien il vaut mieux ne pas bouger quand ils utilisent ces mots-là. Tous mouvements, toutes paroles pourraient empirer la situation. Mais rien de vient. Pas de déluge de coup, pas de blizzard hurlant dégradant. La peur et le conditionnement relâchent lentement leur emprise. Mais Mishka n’est pas pour autant revenue, tu ne saurais malheureusement tant débarrasser alors tu ne doutes pas qu’elle est dans un coin. Il n’y a donc pas vraiment besoin de la chercher.

L’homme qui est intervenu pour vous aider te propose de prendre un verre et tu ne vas refuser. Tu étais là pour ça à la base, puis avec ce petit moment désagréable tu as bien besoin d’un petit remontant. Si tu ne te fonds pas dans le décor ce n’est pas vraiment de ta faute, c’est celui du corps de ta partenaire si elle était un peu moins jolie tu serais bien plus tranquille. Puis sa tenue aussi est impeccable, ce qui ne fait pas très paysanne mais elle est un poil maniaque avec ses tenues tu risques ta peau si tu la salis exprès. Enfin aller lui dire qu’elle est jolie elle vous regardera comme si vous aviez mis un poisson pourri sous son nez. Remarque c’est mignon quand elle fronce son nez de la sorte.

Tu accompagnes ton “sauveur” pour récupérer ta nouvelle pinte de bière offerte. Tes jambes sont un peu cotonneuses alors tu n’es pas mécontent de poser tes fesses. Il discute avec le tenancier lui expliquant que le type qui t’accompagnait jusque-là devrait être surveillé vu son état. Il te donne ta bière bien mérité celle-ci, selon toi ! Mais tu le mérites souvent ! Il te demande ton nom et te demande le tien. Tu ne penses pas judicieux de lui donner celui de ta colocataire, vous êtes tous deux méfiants et comme vous vivez ici sous son nom il serait mieux d’éviter qu’il ne se propage trop en dehors du palais.

“ - Sanctaidd ! Merci et enchantée Kai.”

Tu prends une grande gorgée de bière fraîche, une gorgée presque trop grosse pour ton si petit gabarit. Un petit soupir d’aise t’échappe, il n’y a rien de meilleur qu’une boisson alcoolisée bien fraîche. Ton corps se relâche davantage grâce au liquide. Rien n’est meilleur pour oublier ! Pour faire durer le plaisir tu décides d’offrir la prochaine à Kai après tout il a donné un coup de main non négligeable. Puis toutes les raisons sont bonne pour boire un peu plus.

“ - J’offre la prochaine !”

Les bulles te chatouillent la langue et le palais. Tes doigts serrent ta chope solidement, une certaine crainte de perdre à nouveau tes facultés motrices te pousse à te crisper, comme pour assurer ta prise. Cette perte de contrôle t’agace profondément. Il faudra rappeler quelques points de survis de base à ta comparse. L’immobilité n’est nullement une option. La boisson dont tu prends une nouvelle gorgée avec gourmandise, lisse ton humeur. Elle efface rapidement ta frustration, nulle doute que demain tout ça sera oublié. Et la petite leçon que tu penses faire à Mishka se noiera avec le liquide ambré.
Force est de constater que les hommes commencent souvent par faire des compliments pour amadouer la gente féminine. Malheureusement pour eux tu n’y es pas sensible et ta colocataire ne les aiment pas beaucoup plus que toi. Voire même ils ont tendance à lui faire peur, elle ne déteste pas ça, c’est compliqué de ne pas apprécier un mot gentil… Mais ils ont toujours eu de lourdes conséquences. Aussi, elle n’est jamais très sereine quand elle en reçoit. En soit tu doutes que ton nouvel ami ait envie de te mettre dans son lit, c'est un constat plutôt général. Tu lui offres un petit hochement de tête pour le remercier de sa petite attention. Ca ne mange pas de pain bien au contraire il t’offre à boire donc tu peux bien être un peu poli.
Tu souris amusé quand il te dit de te calmer sur la vitesse à laquelle tu consommes ta boisson. Ce n’est pas toi qui payera les pots cassés demain alors tu as d’autant plus de raison d’être dans l'excès. Sans doute le seul avantage de ce partage de corps. Il accepte le verre que tu suggères de lui offrir et tu en es ravi, un verre de plus à consommer. Alors que tu réfléchis à la réponse à lui donner au sujet de ta présence ici, tu entends quelqu’un choir. C’est avec un plaisir non dissimulé que tu vois ton agresseur étendu sur le sol. Il sera bientôt traîné dehors et tu espères que le parquet à la qualité douteuse lui laissera de belle écharde. Un petit plaisir mesquin qui te fait sourire davantage derrière ton verre.
Pour en revenir à la raison de ta présence ici, tu es avant tout là pour boire.

“ - Il est parfois plus facile de se cacher au milieu de la foule…”

Au milieu de tout ce monde, si on oublie le fait que ton corps et ta tenue jure un peu avec la clientèle habituelle. Celui qui se démarque vraiment n’est pas celui qui tient à tout prix à rester à l’écart des autres ? Seul à sa table, buvant son verre avec un air sinistre sur le visage ?

“ - J’attends en effet quelqu’un, mais je ne désire nullement qu’il me trouve.”

Tu l’attends pour mieux fuir. Bien entendu tu espères ne jamais être trouvé. Mais quand il aura fouillé le reste du monde il finira bien par venir te chercher ici…

Tes yeux cherchent dans le vague son image. Le corps réagit bien malgré toi incontrôlable. Les frissons et de légers engourdissement se font sentir. Tu l’as sollicité alors tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Mais tu n’arrives pas à accéder à se souvenir, il y a des choses dans la mémoire de la jeune femme qui semble complétement vérouillé. Elle te l’as néanmoins décrit à plusieurs reprises pour être sûre que tu ne sois pas surpris si un jour il venait à te faire face. Immense comme une montagne et plutôt massif musculairement ce qui correspond à beaucoup d’Halogien. Il est brun avec une mèche blanche, un peu comme le jeune homme à côté de toi au final… Mais si rien que titiller la mémoire de ta colocataire à ce sujet pouvait te mettre dans tous tes états tu penses que si ça avait été lui le corps te l’aurait fait savoir.
Le très bienveillant compagnon te fait dire que c’est dur de se fondre dans la masse quand on sort autant du lot. Il est vrai que tu fais un peu tâche dans le décor. Mais pour le coup tu te fonds bien mieux au milieu du personnel du château. Après si tu dois fuir tu ne resteras pas vêtu ainsi. C’est un point que tu lui concèdes.

“ - Il est peut-être à l’autre bout du pays actuellement. Je ne peux jurer de la direction qu’il a prise pour me trouver. Ça fait deux ans qu’il cherche.”

De la mesquinerie teinte ton sourire quand ses derniers mots passent tes lèvres. Ça t’amuse d’ailleurs cette idée qu’il cherche toujours dans la mauvaise direction. S’il pouvait y trouver la mort, ça t'arrangerait d’autant plus. Mais elle comme toi ne pourriez jamais être complètement sûr qu’il n’est plus à moins qu’il soit tué sous vos yeux par vous ou des mains de quelqu’un d’autre. Mishka n’a pas les moyens de payer un assassin et puis employer quelqu’un c’est prendre le risque que ça échoue ! Et si cette personne rate son coup vous serez bien plus en danger. Une langue que l’on a payé peut être bien bavarde en échange de davantage d'argent et quand bien même elle ne parlerait pas il se doutera que Mishka est en vie. Car le doute est permis quant à la survie de Mishka dans le biome hivernale seule et pas habillée de façon adéquate. Peut-être retourne-t-il encore la neige des montagnes Halogienne à la recherche de son corps. Mais la petite tapis au fond de ta tête sait qu’il cherche, même si c’est un cadavre qu’il pense trouver.

“ - Avec plaisir pour une ou deux bières de plus. Et c’est sympa de proposer votre aide !”

Une bonne raison de boire un peu plus, tu ne craches pas dessus. En prenant une nouvelle gorgée de ta boisson, une idée te vient pour perdre davantage le malade à votre poursuite. Laisser une piste indiquant une mauvaise route. Comme abandonner une mèche de cheveux sur un arbre à quelque mètres d’un ravin dans la montagne Halogienne. Tu te demandes pourquoi tu n’y as pas pensé avant. L’idée est simple et ne dégradera pas vraiment le corps de ton hôte.