Le vent souffle à ses oreilles alors qu’il plonge, ses grandes ailes aux plumes couleur de geais, brillant un instant sous les rayons du soleil tel un miroir irisé. Un large sourire s’affiche sur ses traits délicats, alors qu’il s’approche du sol. D’un court mouvement, le voilà qui remonte en flèche, évitant la surface de peu. Sa tignasse blonde se retrouvant rejetée en arrière par le souffle. Il continue son ascension jusqu’à avoir dépensé toute l’énergie de sa chute. L’instant de flottement tout en haut de la trajectoire laisse l’occasion de bien apercevoir sa silhouette fine et élancée, tournant un instant sur elle-même pour chuter sur le dos.

Ses paupières se ferment un instant, masquant les deux grands orbes émeraudes nichés au creux de ses orbites. Alors que ses rémiges au liseré argenté frôlent l’eau en dessous de lui, soulevant une fine brume d’eau sur son passage, un rire clair s’échappe de sa gorge.

Après un instant, il se pause sur la berge, secouant un peu ses ailes pour en chasser l’humidité avant de les relier sèchement dans son dos. Faisant tourner un instant sa tête pour détendre ses muscles, il se redresse complètement, dévoilant une taille moyenne, son allure élancée, presque frêle, soulignée par des vêtements lacés assez serrés. Ceux-ci sont d’un pourpre quelque peu altéré par une vie sur les routes quoique de temps à autre rafraîchit par la magie de leur porteur.

En dessous de ceux-ci se trouve une peau claire ornée ce ci-de-là de quelques grains de beauté ainsi qu’une fine marque blanche, souvenir d’une autre époque marquant le bas de son dos, légèrement excentré sur la droite.

Après cela, il remet minutieusement une fine armure de cuir, n’offrant qu’une protection limitée mais n’entravant pas ses mouvements, et se met en marche d’un pas léger, semblant à peine effleurer la route sur laquelle il se tient. Autour de lui, quelques feuilles volètent doucement, poussées par une très légère brise qui semble accompagner ses pas la plupart du temps.

Une fois arrivé en ville, si son visage ne perd pas le sourire qu’il affichait alors, on peut sentir sa posture se faire plus rigide. On pourra croire que c’est la vue de ces rues ordonnées et de cet environnement plus artificiel qui met à mal à l’aise l’esprit de l’air, mais ce serait ne voir qu’une partie de la vérité. Si la compagnie des humains continue de lui être agréable, il ne parvient plus à se départir d’une certaine méfiance vis-à-vis de ceux-ci.

Il avance un peu, dans les rues pavées, l’air songeur, avant d’entrer dans une échoppe d’herboriste où il remet un petit paquet à son commanditaire, empochant sa solde sans y songer. Si sa confiance à été ébréchée, l’argent n’a pas suffisamment d’importance à ses yeux pour qu’il s’en soucie vraiment. C’est toujours un moyen pratique pour obtenir une chose ou l’autre, mais il préfère obtenir directement un bien qu’il convoite ou un service en échange des siens.

Il possède ainsi une belle collection de curiosités glanées aux quatre coins du monde à laquelle il apporte une grande importance et un soin méticuleux. Tous n’ont pas de réelle valeur, mais le temps lui a permis d’acquérir une collection relativement étoffée.

Ses pas le mènent sans réel but au sein de la capitale, écoutant de ci de là les ragots et autres racontars, mêlés à des nouvelles plus importantes. Malgré sa méfiance, il ne peut s’empêcher de ressentir une certaine tendresse pour ces êtres qui l’entourent, désespérément vissés à la terre. Il en ressentirait presque une pointe de compassion pour celui qui ne connaitrait jamais la sensation de liberté que procurait le mouvement dans la troisième dimension. S’en retrouver privé lui semblait presque inimaginable pour lui, pour qui fendre les airs était quelque chose de si naturel.

Une ombre passa sur son visage en repensant à ceux qu’il avait tenté de guider il y a un temps. Il n’en était pas capable… ou sans doute ne l’avait-il, plutôt jamais été. Une partie de lui souhaitait toujours guider les légataires dans l’usage de leurs dons, mais une autre, lui rappelait toujours douloureusement pourquoi il avait renoncé.

Peut-être avait il été trop présomptueux en pensant pouvoir aider ceux qui entreprenaient la voie vers la divinité. Et peut-être avait-ce été là une façon pour le Destin de le remettre à sa place. À ne pas désirer autre chose que la vie simple et libre qu’il lui avait été offerte.

Zephyr ne se souvient pas clairement de ce qu’on pourrait qualifier de sa jeunesse, seules quelques images de son errance parmi les courants d’altitude lui reviennent encore brièvement, sans qu’il ne puisse vraiment les dater ou les ordonner. Pour tout dire, s’il se souvient d’avoir observé les êtres se mouvant sur le sol avant cela, c’est à partir de la période où il a pris forme humaine qu’il parvient à retrouver ses souvenirs les plus ordonnés. Sans doute sa perception du temps était elle différente avant cela, lorsqu’il n’était que pure énergie. Il lui fallut un peu de temps pour s’adapter à la manière dont vivaient les humains. C’était si étrange de les voir fixés ainsi au sol, s’engouffrant du matin au soir dans leur vie si courte et pourtant pleine de contraintes.

Il les étudia tout d’abord comme un enfant curieux commençant à intervenir de temps à autre avec cette magie qui lui semblait si intuitive, et pourtant réservée à de si rares individus. Sans vraiment s’en rendre compte, il se rapprocha peu à peu de ceux qu’il étudiait, adoptant leurs coutumes et toute une partie de leur mode de vie. Il ne put jamais vraiment se sédentariser à un endroit, il y passait parfois quelques mois, mais rester plus longtemps l’aurait fait se sentir enfermé.

S’il aurait aimé permettre aux humains de connaitre le délice de parcourir les cieux, il en était, à défaut de quelques expériences éphémères, bien incapable. Il regrettait un peu de ne pouvoir partager ce sentiment de liberté qu’il ressentait en fendant l’air.


Mais tout cela changea lorsqu’il rencontra une légataire dont l’énergie lui semblait familière. Celle-ci n’était alors guère qu’une débutante et Zephyr eut plusieurs fois à la rattraper avant qu’elle ne vienne à changer brutalement de forme au contact du sol alors qu’il tentait de lui apprendre ce qui lui semblait si naturel. Néanmoins, c’était une tâche dont il s’acquittait avec plaisir, s’investissant peu à peu dans la quête de la jeune fille de maitriser le don qu’elle avait reçu. Ce fut une tâche ardue pour lui que de parvenir à expliquer ce qu’il fallait faire, alors que c’était pour lui une tâche aussi intuitive que de bouger un de ses membres.

De son côté, la jeune femme lui apprit à lire, compétence qu’il n’avait qu’effleurée jusque-là. Les années passèrent, un clignement d’œil pour l’élémentaire, mais son amie était repartie auprès des siens, même s’ils gardaient le contact de temps à autre. Elle changeait peu à peu, alors qu’elle semblait comme figée dans le temps. Cette expérience lui avait néanmoins permis de tisser des liens tels qu’il n’en avait pas connu auparavant et de montrer une chose qu’il pouvait, et qu’il était sans doute un des mieux placés pour faire.

C’est pourquoi il se mit à la recherche d’autres porteurs d’yeux anemo qui pourraient souhaiter bénéficier de son conseil et les guida avec plaisir dans leur chemin. Cela se poursuivit jusqu’à une nuit claire et calme où il s’était éloigné un peu de ses quatre élèves pour admirer les étoiles. Il ne se retourna pas en entendant un bruissement derrière lui, sans doute un de ses protégés le rejoignait-il…


Le noir s’évapora petit à petit autour de lui, comme une fumée malfaisante, le paysage restant flou. Il avait mal, il n’aurait jamais cru que cette forme puisse le rendre aussi sensible à ces sensations inconnues de l’être de pure énergie élémentaire qu’il avait été. Un liquide poisseux avait collé ses cheveux et obstruait la vision de son œil droit alors que chaque mouvement semblait vouloir déchirer son dos en deux. La tache rouge qui maculait son vêtement s’était étalée paresseusement sur le sol, l’imbibant légèrement. Il ramassa un peu de terre rougie et l’appliqua péniblement sur la blessure avant de la transmuter en une sorte de gelée à même d’arrêter le saignement. Après quoi il se releva difficilement, l’air hagard. Un gémissement sonore se faisant entendre alors que son aile brisée prenait un angle nouveau et inattendu, trainant légèrement derrière lui. Le gout métallique du sang emplissait sa bouche et son nez alors qu’il avançait d’un pas chancelant vers le campement.

Bien sûr, il aurait pu reprendre sa forme originelle, mais dans cet état, il lui faudrait probablement des heures avant de pouvoir retrouver cette enveloppe qui lui permettait d’interagir avec les humains… Et ce, sans doute, au moment où ses protégés avaient le plus besoin de lui.

Une fois parvenue au petit campement, ses yeux s’agrandirent devant l’horreur de la scène. Les cadavres de trois de ses élèves jonchaient le sol, leur état ne laissant pas de doute sur le drame qui c’était déroulé ici. L’élémentaire tomba à genoux, tentant vainement de leur parler un à un alors que le souffle de la vie les avait déjà définitivement quittés. Tentant tantôt de les rassurer, tantôt de les supplier alors que les larmes allaient s’écraser sur un corps inerte. Il combattit l’évidence que son esprit avait pourtant lentement acceptée encore un moment, le corps secoué de sanglots avant que la vérité ne s’impose finalement à son esprit.

La voie vers la divinité ne peut se finir que seul…

C’était ainsi qu’un de ceux sur lesquels il avait veillé avec soin avait fini par décider qu’il était prêt et que les autres n’étaient plus que des rivaux dangereux, risquant simplement de lui ravir la place qu’il estimait sienne. Bien sûr, il l’avait su ambitieux, mais comment imaginer un tel dénouement ? Comment imaginer que ce jeune homme qu’il avait soigneusement couvé, dont il avait aidé à développer le don dont les dieux lui avaient fait cadeau, avait fini par considérer ses camarades comme de simples obstacles dont il pouvait se débarrasser ?

Sans doute, si un inconnu avait commis un tel acte, l’aurait il retrouvé pour le lui faire payer de sa vie. Mais, dans ces circonstances, il en était incapable. Il ne parvenait guère à ressentir plus que la détresse et la culpabilité qui rongeaient insidieusement sa raison.

Les heures qui passaient lui semblaient, pour une fois, une éternité, et après que les corps eurent été rendus à leur famille, l’élémentaire se coupa du monde, se nichant dans des falaises escarpées et chassant tous ceux qui avaient l’outrecuidance d’approcher sa tanière. Il ne voulait plus les voir, ils étaient trop fragiles et trop mesquins, et, lui était trop bête et trop dangereux pour cohabiter.

Il resta coupé du monde ainsi quelque temps, tenant presque plus de la bête sauvage qu’autre chose, bien qu’il se gardât de blesser ceux qui pouvaient croiser sa route.

Alors que le temps faisait finalement son œuvre, transformant les blessures de son esprit en une douleur plus sourde, lancinante, qui ne le quittait pas, mais avec laquelle il apprenait à vivre, il finit par émerger à nouveau pour découvrir un monde plongé dans la nuit. Les dieux l’avaient ils finalement privé de leurs bénédictions ? Il n’en savait rien, mais sans aucun doute, cela n’annonçait rien de bon pour les êtres peuplant cette terre. Après un peu de temps passé à reprendre une apparence plus présentable aux yeux des humains, ce qui après cette période n’était ni très compliqué ni vraiment un luxe.


Au cours des temps qui suivirent, il se rapprocha lentement des zones habitées, ne les fréquentant que pour de courtes périodes au début, et se mêlant de plus en plus à eux. Une question hantait néanmoins son esprit : que ferait-il s’il se retrouvait face à face avec son péché ? Il n’avait pas la moindre idée de ce que celui-ci était devenu, peut-être était il mort depuis longtemps en tentant l’ascension du Père, peut-être qu’il était toujours en vie, quelque part…

Toujours était il que, peu à peu, ses relations se normalisèrent avec ceux qu’il rencontrait. Il pouvait rendre des services dont bien peu étaient capables et cela facilitait nettement l’intégration d’un « étranger » tel que lui là où il allait. Il reprit ainsi, peu à peu la vie de vagabond qu’il avait connue des années auparavant.

Le temps s’écoula encore quelques années avant que, soudain le Père se remette à briller et les yeux divins reviennent au sein de la population. Que fallait il faire pour un fils de Valefor ? Tenter de guider à nouveau les porteurs ? Empêcher les plus dangereux de nuire à leurs congénères ? Peut-être un mélange des deux… Mais en était-il vraiment capable ?