La lune poignait à l’horizon, caressant de sa lueur argentée les murs de la capital, offrant un panorama qui aurai fait admettre aux plus narquois pourquoi la citée d’argent portait ce nom, malgré les ruines qui la parsemait dans son aspect de gloire perdue. Les bâtiments de pierre blanche semblaient resplendir d’une lueur spectrale, aussi douce que captivante comme si la ville elle-même était en réalité quelque spectre surgit d’un lointain passé. Sans être vraiment témoins de ce spectacle, au cœur des rues sinueuses et délabrés, une petite silhouette hâtait le pas. La journée avait été éprouvante pour l’elfe, comme la précédente, ainsi que toutes celles dont il parvenait à se rappeler à cet instant.

S’il avait eu l’habitude d’être intimement impliquer dans la gestion d’un pays, le moins que l’on puisse dire était que planifier les choses dans l’opulence de Meridiem était une tout autre affaire de que gérer la pénurie permanente de Lucarion, ici, ironiquement les choix se payaient bien plus cher, tout comme les erreurs de jugement. Il s’arrêta un instant en repensant avec une certaine nostalgie à l’époque ou il inspectait les fortifications de la frontière halogienne. Quelle fraction des efforts alors déployés pour construire ces remparts, ces barbacanes et ces douves auraient suffi, ici à sauver des centaines de vies ? un léger vertige l’assaillit un instant avant qu’il ne se reprenne.

Au fond tout cela n’avait guère d’importance, ce n’était pas à lui d’en décider, pas à lui d’espérer. Son rôle se bornais à faire au mieux avec les cartes que le destin, ou le hasard comme il préférait l’appeler, avait mis entre ses mains. Il n’avait pas besoin de l’espoir, juste de la froide détermination qu’entrainait la conviction de faire ce qui devait être fait.

Il n’aurait su expliquer vraiment pourquoi, autant parce qu’il est difficile d’expliquer un sentiment que parce que la réponse ne l’intéressait pas vraiment, mais il c’était pris d’une affection profonde pour cet endroit et ces habitants, cette nation en errance, fracturée, perdu au bord du monde et honnis de celui-ci, composés de tout ceux que les bonnes gens auraient voulu voir disparaitre, coupable ou non. Ici il ne servait plus les puissants mais ceux qui n’avaient pas eut leur chance. Peut être finalement était ce mieux ainsi, les souverains s’en tireraient sans aucun doute très bien sans lui.

C’est pris dans ces réflexions que ses pas finirent par le porter à ce bâtiment qui représentait le centre du pouvoir de Lucarion, cette vénérable tour autour de laquelle avaient été réhabilité, d’abord par les kuroïtes puis par les habitants de Noxa eux même quelques bâtiments plus récents.

Sindra saluât le garde en faction qui somnolait paisiblement à son poste sans vraiment s’en formaliser, ces pauvres bougres faisaient de leur mieux pour tenter d’éviter que la ville ne soit qu’une zone de non droit tout en étant trop peu nombreux, mal équipé et peu choyé. Sans doute devaient ils faire cela au moins un peu par idéalisme, contribuant à la hauteur de leurs moyens, et cela ne pouvais que forcer son respect.

Après avoir passer le hall il s’engagea dans les escaliers en colimaçon que grimpaient au cœur de la tour pour l’amener à un endroit qu’il connaissait par cœur, se repérant dans le noir temporairement causé par le passage d’un nuage devant l’astre opalescent. Il ne remarqua pas la forme qui se découpait légèrement, ombre au sein des ténèbres, tapis comme un prédateur prêt à fondre sur la proie dont les pensés encombraient trop l’esprit pour qu’il prête vraiment attention à son environnement.

Un frisson, un souffle, l’espace d’un instant, l’elfe se figea avant que ne retentisse une voix dans ce bureau où il était seul. Il n’entendait qu’à moitié les paroles prononcées, celles-ci s’imprégnant malgré tout dans sa mémoire. Qui était-ce ? Comment cette personne était-elle arrivée ici ? Que voulait-elle ? Une foule de questions l’assaillirent tout à coup alors que son esprit donnait peu à peu une forme.

Qui ? Cela importait peu pour l’instant, il aurait l’occasion de s’en informer par la suite. Comment ? C’était une bonne question, mais pour un autre temps. La seule question vraiment pertinente sur l’instant était de savoir ce que cette personne voulait et, en premier lieu, si elle représentait un danger.

Vu qu’il ne sentait pas la froideur de l’acier entre ses côtes, il était peu probable qu’il s’agisse de quelqu’un qui souhaitait s’en prendre à lui. Néanmoins, cette façon quelque peu cavalière de s’introduire ainsi ici pour le rencontrer invitait tout de même à la méfiance.

Ces réflexions ne l’avaient occupé que le court instant qu’il lui fallait pour se retourner, et maintenant, il faisait face à cette figure que la pâle lueur illuminait de façon irréelle, maintenant que la lune s’était débarrassée de son fin masque de brume. C’était une silhouette à la stature imposante, contrastant avec la finesse de l’elfe par plus d’un aspect. La posture de ce dernier, légèrement ramassé sur lui-même, sur la défensive contrastait elle aussi avec l’apparente désinvolture de l’intrus qui semblait profiter de la vue.

Sa voix déchira à nouveau le silence qui était revenu dans la pièce alors que le maitre des lieux, même s’il ne se sentait pas tellement ainsi à cet instant, continuait à détailler ce qui lui faisait face.

La courtoisie invite à laisser à son interlocuteur le plaisir de savoir qui s’adresse à lui, puisque vous semblez savoir qui je suis. Je m’en vois dispensé, mais il ne me semble pas qu’il en soit de même pour vous.

Sa voix était posée, il avait globalement repris son calme et une attitude qui lui était plus commune, une forme de froideur distante, mais sans animosité. Un œil avisé aurait sans doute noté qu’il ne quittait pas son interlocuteur des yeux alors qu’il se rendait à son bureau, s’installant machinalement sur ce fauteuil avec lequel il lui semblait ne faire plus qu’un après de si nombreuses heures passées les yeux rivés sur quelques documents que pouvait contenir cette pièce.

Admirable, humblement et modestement, en quel terme flatteur cela était-il dit. Simple convenance ? Possible, mais dans ses oreilles habituées aux conversations des gens de pouvoir, cela sonnait bien autrement. Ou peut-être avait-il simplement été rendu trop méfiant par les évènements difficiles d’évaluer soi-même un excès de prudence.

Je n’ai rien contre l’idée de discourir avec vous, quant à ce qui est de votre aide. J’ai comme principe de supposer que toute aide est la bienvenue, mais au vu des circonstances, vous me permettrez d’en juger par la suite.

Est-ce qu’il aurait dû appeler la garde pour mettre cet intrus hors de ces murs ? Sans doute, mais la curiosité n’était pas le moindre de ses vices et il ne pouvait qu’être intrigué par ce qui se passait actuellement dans son bureau. Et cette silhouette masquée était assurément le cœur de l’intrigue qui se jouait ici. Il préféra donc s’accouder à son bureau, les mains jointes en attendant la réponse de cet étrange personnage qui lui faisait face.

L’inconnu s’agite, de façon presque mécanique, semblable à quelques pantins aux fils invisibles tenus par une main gigantesque et tapis dans l’ombre. Ses mouvements l’emmènent finalement face à lui, qui l’observe, assit, largement dominé par la stature de son interlocuteur. Il émane de cette personne en face de lui un sentiment… déplaisant. Peut-être était-ce le masque, privant l’elfe des informations qui pourraient lui fournir le visage de son vis-à-vis, qui le met mal à l’aise dans ce rapport de force désavantageux qu’il lui impose. Ou peut-être était-ce autre chose. Quelque chose de plus diffus, comme une légère odeur d’incendie, lointaine, qui mettrait les sens en éveil sans pourtant se manifester assez pour sembler n’être plus qu’un souvenir.

Pas de nom, mais d’autres questions, voilà la réponse que cette marionnette de chair et de sang venait lui apporter. Les ennemis de notre cause ? Il ne s’agissait donc pas d’un agent isolé, mais d’un groupe ? Cela ne rendait les choses que plus inquiétantes. Elle mettait également le doigt sur un point important : rien de ce qu’elle ne disait ne devait être pris avec trop de confiance, et en l’occurrence ici, trop signifiait, le moindre soupçon.

Pour ce qui était de sa promesse, par exemple… Elle n’engagea bien que ceux qui voudraient y croire, et tel n’était pas le cas du maitre des lieux. Les yeux gris soutinrent la pression exercée par leurs homologues de braise, cherchant à percer à travers ce masque pour chercher quelque intention cachée dans la masse de chair dont ils n’étaient que les éclaireurs. Ceux-ci, ne révélèrent néanmoins rien de plus.

La paix et la prospérité ? Voilà un programme bien singulier qui justifiait fort d’entrer chez les gens à la faveur de la nuit pour leur en parler tant il était polémique. Un demi-sourire sans joie passa sur les lèvres de Sindra avant que son attention ne soit reprise par la phrase suivante.

Monsieur, vous savez déjà quelle est ma position vis-à-vis de l’avenir de cet endroit et l’investissement que je consens à cette cause. Néanmoins, si vous ne désiriez me parler que de paix et de prospérité, je vois mal pourquoi vous introduire ainsi dans ma demeure… Je pense que vos précautions sont un peu excessives, tant les gens ne souhaitant que guerre et ruine se font rares de nos jours. À moins bien sûr que votre objectif ne soit que très mal résumé en ces termes, peut-être même à dessein ?

L’elfe laissa un instant de silence après cette dernière phrase.

Dans cette vie et dans une autre, j’ai eu l’occasion de côtoyer quantité de personnes tentant de me persuader qu’elles étaient à deux doigts de permettre au monde une transfiguration qui le laisserait à jamais bouleverser pour le meilleur. Ceux que j’ai rencontrés étaient des fous, des fanatiques ou des escrocs et le monde attend toujours la réalisation de leur grand œuvre. Je ne vous condamne pas pour les faits d’autrui, Monsieur, mais cela ne peut que me rendre méfiant à votre égard.

Un léger soupir franchis ses lèvres avant qu’il ne reprenne, un peu songeur.

Un ennemi ? Vous craindriez donc que la misère, l’abandon et les étendues désolées transformant la population en monstre ne me suffisent pas ?

C’était idiot, bien entendu, et il était peu probable que son interlocuteur ne pense qu’il avait compris cela. À défaut, néanmoins, feindre l’incompréhension, même mal demeurait un moyen efficace de pousser l’autre à développer sans laisser entrevoir ses propres intentions.