L'ennui avait un visage, celui de l'homme qui l'avait adopté.

Il avait un goût, celui de la cuisine halogienne.

Il avait un village, et c'était ici.

Ce n'était qu'une étape, et rien de plus. Il revenait d'une expédition en Ataraxie, et avait dans l'une de ses poches l'oeil dendro qu'on l'avait envoyé chasser. Son possesseur avait à peine été plus qu'une étape sur son chemin. Ils proliféraient, ces derniers temps, tous plus incompétents les uns que les autres, et surtout, bêtes. Sa tâche de purifier le monde des yeux divins avait toujours été motivée par la haine et l'envie de se débarasser de tous ceux qui étaient moins parfaits que Narii, mais tous ceux qu'il affrontait récemment... Ils faisaient bouillir son sang. C'était des crétins, des gens vains, qui exposaient leur oeil au vu et au su de tous, qui espéraient en tirer un statut, ou qui se prétendaient déjà Dieu. Ils étaient des insultes, chacun d'entre eux, crachées au visage de celle qu'il aimait.

Mais Darui gardait ces sombres sentiments profondément enfermés au creux de son coeur. La fureur était mauvaise conseillère, il était le premier à le dire, alors lui donner un exutoire était hors de question. Parfois, lorsqu'il ne tenait plus, il s'absentait, et revenait quelques semaines plus tard. Parfois, c'était une croisade gratuite contre des groupes de brigands, parfois il s'isolait et frappait la roche jusqu'à ce que ses poings soient sur le poing d'éclater. Il n'était pas toujours aisé de conserver son calme lorsque l'on était l'hôte de tant de colère.

« Tu as quelque chose que je convoite. »

La voix l'avait surpris, mais il n'en montra rien. Il observe l'elfe devant lui, imperturbable, et ne fait qu'un pas en arrière lorsqu'elle émet une onde d'énergie qui repousse tout le monde autour d'eux comme s'ils n'étaient rien... Et après tout, elle n'a pas tort. Ils ne sont rien. Il est rare, pour lui, de rencontrer des créatures qu'il peut estimer comparables à lui, mais sa façon de se déplacer, de s'exprimer... Elle n'est pas une simple sorcière comme les autres.

Elle en sait visiblement plus sur lui que lui sur elle, et peu lui importe. Si elle veut son oeil, il pourrait tout simplement lui donner... Il y'en a bien d'autres dans ce bas monde, qu'il pourrait ramener à son frère, et un oeil sans son porteur ne vaut rien. Pourtant... Pourtant il ressent en lui trop de colère pour que cela se passe ainsi. Ce n'est pas la première fois, à vrai dire, mais peut être est-ce la fois de trop. Peut être en a t'il assez. Cette fois, c'est sur elle qu'il va se défouler.

Avant même qu'elle ne finisse sa phrase, son poing est déjà parti en avant. Un coup vicieux, presque un uppercut, venant saisir l'elfe sous son plexus solaire. Un coup peut être même mortel. Mais ses sourcils froncés et la posture qu'il prend tout en donnant son coup ne laissent pas de place au doute. Il est prêt à la contre-attaque, quelle qu'elle soit.

Morte...

Frapper cette créature revenait à frapper un mur. Le métal avait ployé sous sa frappe. La gêne respiratoire qu'elle avait ressenti au moment du coup n'était rien, comparé à la gêne permanente qu'était un bout de métal enfoncé dans son abdomen. Pourtant, la créature devant lui ne semblait même pas la remarquer. C'était un étrange guêpier dans lequel il s'était aventuré, et, à sa dernière remarque, il comprit qu'il pouvait désamorcer la situation facilement... Elle le prenait pour un aspirant dieu, parce qu'il portait un oeil sur lui. Elle était sotte, mais sans doute comprendrait elle, si il lui disait...

Mais il était trop tard. Si elle était peut être accessible à la raison, lui ne l'était pas. Pas tant qu'il n'aurait pas épuisé sa fureur. Pourtant, cet étrange mélange de colère et de concentration éveillait quelque chose de nouveau en lui. Combattre dans cet état, de façon générale, était impossible. Il risquait de commettre des erreurs, par orgueil, par imprudence... Mais pas cette fois. Cette fois, sa fureur prenait un autre aspect. Une guerre sauvage, sans hésitation. Une violence déchaînée car celle qui la subirait n'en souffrirait pas. Il n'y avait qu'à frapper jusqu'à l'épuisement, et, un jour peut être, arrêter.

Mais l'heure n'était pas venue.

Son mouvement de visée est trop rapide pour quelqu'un de sa constitution, il n'est pas un balayage, mais une succession de points. Elle établit méthodiquement ses attaques pour ne lui laisser aucun échappatoire. Devant lui, pour l'empêcher d'avancer, puis sa position. Les côtés, pour éviter les dérobades, et enfin, derrière lui. Elle est idiote. C'est un ordre facile à imaginer, qui arrivait relativement naturellement au poignet... Mais aussi le moins efficace. Avec sa rapidité d'exécution, commencer par l'arrière et finir par l'avant permettait que toutes les flèches arrivent en même temps. Mieux encore, l'amener, en premier réflexe, à se jeter sur elle permettrait aux derniers carreaux, ceux tirés devant lui, d'atteindre plus vite leur destination.

Il triompherait sans problème, tant qu'elle n'utilisait pas de véritable magie, et non cette triste imitation qu'étaient la magie des yeux.

Une brusque accélération, et il se jette sur le côté. Dans un mouvement fluide, ses bras viennent se saisir au vol de deux flèches, un dans chaque main. Alors que son épaule touche le sol, il ne roule pas sur le côté, mais vient au contraire se rétablir à quatre pattes, et accélérer à nouveau, absurdement rapide pour cette position, qu'il ne garde pas longtemps, déjà propulsé sur ses pattes arrières pour se jeter sur elle, plantant ses dagues improvisées dans ses bras, aux rares ouvertures que laissaient voir les articulations.

En temps normal, c'est le moment qu'il aurait choisi pour lâcher une simple pique, mais il était trop concentré pour le faire... En lâchant les flèches, il vient la frapper au visage, de ses poings, puis de ses coudes, et à nouveau de ses poings. Chaque coup est une provocation. Il sait qu'il ne la blesse pas, mais peu lui importe. Il s'entraîne, pour la première fois depuis des années. Enfin, un dernier coup, plus puissant, pour la repousser au loin.

A son tour.

Le flot du combat était fascinant.

Chacun de ses coups heurtait avec un rythme parfait, et il pouvait sentir une force et une agilité qu'il avait pensées perdues depuis qu'il s'était laissé capturer par les Sosuke revenir en lui. C'était cela, sa véritable nature. Pour la première fois, il souriait, heureux, presque béat, de pouvoir à nouveau être en communion avec sa nature. Sa tête, ou plutôt son heaume, secouait dans tous les sens, lui apportant une forme de joie étrange. N'importe qui essuyant une partie seulement de ces coups serait mort, et le frapper n'aurait plus d'intérêt. Avec elle, il pouvait apprendre, expérimenter, progresser.

Soudain, elle disparut, pourtant, il savait où elle était. Il se laissa emporter par l'élan jusque là rigoureusement contrôlé de son coup, et fit demi-tour pour observer sa fragile et pourtant invulnérable silhouette. Il prit ce court instant pour reprendre son souffle, laissant un air frais traverser son corps surchauffé, et observant son ennemie. Il n'y avait pas besoin de ses sens aiguisés pour se rendre compte du danger de ce qu'elle préparait, pourtant, cela lui tirait tout au plus un sourire en coin.  

Doucement, il changea sa posture en l'observant. La question se posait toujours de ce qu'elle était. Elle n'utilisait pas plus d'yeux que lui-même, et était pourtant plus puissante que la majorité de ce qu'il avait pu affronter. Son immortalité la rendait forcément infiniment plus dangereuse, mais ses pouvoirs dépassaient de très loin la majorité des porteurs d'yeux, et ceux qui pouvaient l'affronter se comptaient probablement sur les doigts d'une main. C'était fascinant. S'il n'était pas perdu dans l'excitation du combat, il aurait surement pu en tirer plus. Comprendre sa place en ce monde, et les lois qui le régissaient. Comprendre que tout cela n'était qu'un jeu, un spectacle, pour quelque chose dépassant les dieux eux-mêmes... Mais l'heure n'était pas à cela.

Yaslan...

Elle reparaît devant lui, et tend brutalement le bras vers lui. Une fraction de seconde à peine, trop peu pour que je puisse le voir moi-même. Pourtant, il a déjà réagi. De son bras droit, il frappe le coude tenant l'orbe, tandis que sa main gauche la saisit au poignet. Elle ne peut que replier le bras, entraînée par son armure, et l'orbe vient la frapper en plein thorax. Un air dément sur le visage, Darui se cramponne au sol pour résister à l'onde de choc, et, au bout de quelques instants, tourne brutalement sur lui même pour la lancer, aussi puissament que possible, à travers les ruines du village.

Il espère qu'elle se relèvera encore.

Il court après sa propre fin avec plus d'avidité que jamais, un sourire extatique sur le visage.

C'est avec difficulté qu'il se retint de bondir à ses côtés.

Il n'avait qu'une envie : se jeter à nouveau sur elle, avant même qu'elle n'atterisse, la saisir par l'armure et la jeter à nouveau, la projeter contre le sol, sentir à chacun de ses assauts son armure craquer, se distordre, la broyer, Ne lui laisser aucune opportunité, mais il devait respirer. Reprendre son souffle. L'entraînement avait laissé la place à l'expression de la partie la plus sombre de son être, une violence débridée qui n'avait qu'un seul but : la destruction mutuelle. Cette danse qu'il faisait avec elle n'était pas en son honneur, mais en mon nom...

La destruction qu'il offrait au monde n'était pas la punition qu'il lui imposait pour se venger de ce qu'il avait perdu, mais la simple exposition de sa souffrance. Un appel à l'aide, ou un appel à la pitié. Il avait menti sur ses motivations, puis sur son nom. Sur sa loyauté, sur ses talents, sur tout ce qui le définissait. Et chaque fois qu'il essayait d'être à nouveau lui-même, qu'il tentait de reprendre pied dans la tempête qu'était devenue sa vie, on le ramenait toujours à ce titre. Père du Sommeil. Sosuke Darui. Il les haïssait presque autant qu'il haïssait Yaslan.

Et tout ce qui restait, de cette haine, c'était cela. Une bête sauvage. Mon monstre.

Il replie ses jambes, s'asseyant sur ses chevilles, les yeux fixés sur la sorcière qui atterrit doucement plus loin. Ses mains crispées se contractent légèrement, alors qu'il repousse la violence qui l'habite pour lui laisser le temps de répondre. Il veut se battre, pas seulement frapper. Alors il attend, patiemment, et lorsque sort de terre une créature squelettique, plus grande que lui, armée d'une épée monstrueuse, et d'un grand bouclier, il se relève doucement. Si c'est ce terrain qu'elle a choisi pour l'affronter, il va lui délivrer son jugement.

Il jette un coup d'oeil autour de lui, et vient récupérer une fourche dans les décombres. Il la fait tournoyer entre ses doigts alors que la créature semble se préparer, C'est certainement une forme de magie qui retient cette chose sous une forme cohérente, mais laquelle, et comment la déjouer ? La Sorcière ne va t'elle pas chercher à le frapper par derrière alors qu'il se bat avec son pantin ? Si oui, combien de coups de sa part peut il endurer ? Peu, probablement... Mais a t'il seulement le choix ? Le désire t'il seulement ?

Soudain, il est face au squelette, et esquive la première attaque de ce dernier d'un saut vrillé sur le côté, tout en lançant sa fourche en avant en un estoc qui aurait tué n'importe qui, mais qui est aisément paré par ce bouclier trop grand. Une première attaque primitive. L'approche d'un érudit sur le combat. C'était un bon début, mais c'était surtout la preuve que c'était elle qui le manipulait, et qu'il n'avait pas de volonté propre. Parfait. Cela voulait dire que sa conscience était en partie occupée par son combat. Elle ne pourrait pas facilement le prendre à revers, ou du moins, beaucoup plus lentement.

Alors qu'il atterit, il se précipite directement vers son ennemi, qui tente de le balayer d'une frappe horizontale de son fauchon, sous laquelle le monstre se faufile aisément, et, dans une attaque d'une rare violence, plante l'une des dents de sa fourche entre les deux os de son avant-bras. La parade ne tarde pas à venir, sous la forme d'un coup de bouclier, mais cela fait partie du plan. Darui lui expose le manche de son arme, qui vole en éclats... mais sa fourche est maintenant beaucoup plus courte. Alors, il vient remonter le manche de l'arme, disloquant entièrement le poignet de la squelettique créature, lui arrachant la main.

La fourche ne demandant plus qu'une main pour être maniée, il récupère le fauchon de sa main libre, et bondit sur le côté, sur le toit d'une maison encore debout par miracle, cherchant des yeux sa prochaine arme. Il la trouve, et jette fauchon et fourche derrière lui, hors de portée de son ennemi. En un instant de plus, il s'est saisi d'une faux, et harcèle de coups le squelette acculé, chaque coup de faux venant riper sur le bouclier, frappant ses os, les lacérant, sous le rire extatique d'un homme qui peut laisser libre cours à sa monstruosité.

Enfin, il tente un large coup en tenant sa faux le plus loin possible, forçant la créature à tendre le bras sur le côté pour parer, et vient abattre son pied sur son bras, avec une puissance épouvantable. Tout son corps entre ensuite en rotation, un tour, un deuxième, si gracieux que l'on jurerait une danse rituelle ou un spectacle aux dieux, et enfin, un coup. Le crâne s'envole, sans que Darui ne bouge plus. Une seconde, une deuxième, et il se retourne, son regard se posant directement sur la sorcière, dont il sait qu'elle a respecté cette trêve.

Il est épuisé, mais il n'en a cure. Il attend la délivrance ou l'absolution.

Il bondit à nouveau dans sa direction.

Cela n'avait duré qu'un instant, mais tu savais parfaitement ce que tu faisais.

Tu savais que tu n'aurais ni la force, ni les réflexes nécessaires pour éviter son attaque. Tu étais épuisé, éreinté de t'être enfin déchainé, toi qui te retenait toujours et qui gardait toujours le contrôle. Tu aurais pu t'arrêter quelques instants de plus, te reconcentrer, reprendre le contrôle, et triompher. Tu aurais pu mettre un terme à son massacre, quitte à continuer le tien. Pourtant, tu as choisi l'autre voie... Tu as choisi d'abandonner, de quémander la mort, de te jeter dans mes bras comme si tout ce que tu avais vécu jusque là ne comptait pas.

Désolé, mon amour, mais je ne suis pas là.

Tu cours, cherchant un repère, la moindre trace de mon passage. Dans cette infinie étendue blanche, tu cries mon nom, tu t'arrêtes, pour entendre ma réponse qui ne viendra jamais, tu cours à nouveau, et pleure. Comme tu es beau, ainsi débarassé des années, redevenu le Yaslan que j'ai connu, si doux et gentil, sensible et compatissant. Comme j'aimerais pouvoir te répondre, te prendre dans mes bras, et qu'enfin nous nous retrouvions, que nous nous confiions l'un à l'autre. Comme je souhaiterais être à tes côtés.

Mais ton heure n'est pas venue, mon amour.

Lentement, je te vois vieillir, et enfin, je sors de ma cachette. Je veux te toucher, au moins une fois, avant que tu ne disparaisses. Je tends la main vers toi, et enfin, tu me vois. Ma main se pose sur ton torse, tu poses la tienne par dessus, et nos regards se croisent. Nous avons tant de choses à nous dire, et pourtant, tout se termine déjà. Je suis désolée.

Je t'aime.

***

Il rouvrit les yeux lentement, à peine surpris de voir un toit au dessus de sa tête. Sa gorge était serrée, et, pour la première fois, des larmes coulaient sur ses joues. Il regrettait de ne pas avoir pu la retrouver, et ce n'est pas la présence de la sorcière à ses côtés qui allait le réconforter. Cela dit, il n'éprouvait pas la moindre honte à pleurer devant elle, quand bien même le flot se tarit rapidement.

Doucement, d'une voix rauque, il prit alors la parole.

"J'aurais préféré... je crois, rester de l'autre côté...

On n'a pas été présentés, je crois... Je suis Sosuke Darui, et je n'ai pas d'oeil divin. Désolé de vous décevoir..."

Amaryllis...

C'était un nom gracieux. Certainement pas le nom de ce monstre, mais peut être le nom de ce qu'elle avait été. Il comprenait ce genre de choses... Elle non plus ne se reconnaissait probablement plus vraiment dans ce nom. Un instant, son regard se déposa sur elle. Un fantôme, rien de plus, dans une armure qui n'était pas moins absurde que celle du chevalier qu'elle avait invoqué pour la protéger. Et toi, Amaryllis, pensa t'il... Qui tirait tes ficelles ?

La fureur de Darui avait toujours été de celles dirigées, non contre les hommes, mais contre le destin, la fatalité. Les hommes, et surtout les légataires comme Narii n'étaient que des pions. Il n'avait qu'une certitude, malgré le nombre de légataires crétins incapables de se servir correctement de leurs yeux : ces gens étaient choisis. Les yeux n'apparaissaient pas au hasard. Chacun d'entre eux avait une destinée. Un chemin à suivre. C'était, à ses yeux, la plus grande des hérésies.

Si Narii avait pu vivre, qui serait-elle devenue ? Si elle avait pu choisir, qui serait-elle devenue ?

Mais il n'aurait jamais de réponses. Lorsque l'on possédait un oeil, le besoin devenait impérieux. On devait découvrir pourquoi, s'élever, rentrer dans ce grand jeu de dupes, dans cette compétition féroce et sauvage. On brisait des vies sans même les regarder, car c'est cela qui les intéressait vraiment, ces Spectateurs... Ils observaient depuis leur Elysée, et se réjouissaient de chaque tragédie, de chaque drame qu'ils faisaient naître. La force contre les mortels n'était rien. Cela n'avait jamais été l'objectif de Darui... Il voulait aller plus loin, devenir celui qui tuerait les Véritables Dieux. Libérer Kira et le spectre de Narii.

Et qui sait, peut être libérer Amaryllis ?

Sans se relever, il tendit la main vers son hakama, et vint en sortir une breloque. L'oeil qu'il avait arraché à l'aventurier crétin qui le possédait la veille encore. Sans y accorder plus d'attention, il le jeta en cloche à la sorcière, avant de mettre sa main derrière sa tête, et de refermer les yeux, appréciant le confort fruste auquel il avait droit.

"Si c'est de lui que tu parles, alors oui, tu as raison, j'ai un oeil... Mais il n'est pas le mien.

Je suis un chasseur. Je trouve les porteurs d'yeux, et je les leur arrache. Certains pensent que cela fait de moi un monstre, et j'ignore s'ils ont tort... Mais c'est ce que je dois faire. Tu sais ce que je veux dire, je crois..."

Doucement, il se releva, grimaçant et grognant de douleur avant de regarder la plaie sur son torse. Il ne manquait pas de cicatrices, mais celle-là serait certainement une des plus marquantes. Il commença à fouiller la chambre en silence, mais bien évidemment, ne trouva rien à sa taille. Alors il récupéra au sol le bout de tissu troué qui lui avait jusque là servi, et l'enfila en grognant à nouveau de douleur.

"Tu es un bon partenaire d'entrainement. D'habitude, je n'ai besoin que de quelques coups pour venir à bout de mes cibles... Je progresse toujours, bien sûr, mais à un rythme beaucoup plus lent... Le combat contre toi m'a permis de réaliser toute une nouvelle partie de mon potentiel... Et aussi de me rendre compte que je n'étais pas encore capable de triompher de dieux, si je ne peux même pas neutraliser une immortelle...

Je me doute que tu n'es pas le genre de personnes que l'on peut acheter ainsi... Mais l'homme qui m'a donné mon nom serait prêt à te payer cher pour que je m'entraîne avec toi. Si cela t'intéresse, passe à Kuro en disant que tu es une de mes amies..."

Seule l'une de nos existences connaîtra un jour le repos éternel...

Darui n'avait jamais aimé les parfums doux-amer. Pourtant, alors qu'il tournait la tête pour observer la Sorcière parlant doucement, c'est exactement cela qu'il ressentait. Un instant, il essaya de se représenter ce que pouvait être la vie d'Amaryllis... Il était guidé par sa fureur, sa colère, mais surtout un instinct puissant. Il savait que ce qu'il faisait était juste, à sa façon... mais surtout que c'était là sa seule façon d'étancher sa soif. Une soif dont il ignorait en réalité beaucoup... Etait elle de sang ? de violence ? d'oubli de soi ?

Dans tous les cas, une certitude ne pouvait que l'habiter, et ne le quitterait jamais. Au bout du chemin, il y'aurait, tôt ou tard, la mort. Inévitable, crainte, et pourtant désirée. Il savait que la majorité des combattants avait le même rapport avec elle, qu'il n'était pas une exception... Il se contentait de la chasser un peu plus ardemment. Mais elle ne pouvait même pas rêver de cette délivrance. Elle lui avait été enlevée. La cruauté des dieux n'avait rien de nouveau, pour lui, mais ce nouvel outrage, cette horreur inhumaine... Il refusait de laisser tout cela continuer.

Il la laissa parler, et même le dépasser, sans rien rajouter. Elle posa le regard sur la dévastation qu'ils avaient causé, et il ne fut qu'à demi surpris de voir ses yeux se poser sur les rares batiments encore debout, et surtout sur les champs entourant la ville. Peut être était-ce ce qu'il voulait voir, mais il avait véritablement l'impression qu'elle éprouvait un certain soulagement à voir que, malgré les morts et la destruction, il restait de quoi survivre. De quoi renaître. Une chance qu'elle n'aurait jamais... Alors, il prit la parole, pour répondre à sa question, et lui tendre la main.

"Je vais faire ce que je fais toujours, Amaryllis. Repartir à la chasse. Mettre fin à la vie des porteurs d'yeux avant que la trahison ou la cupidité ne les tue plus cruellement... Me battre, m'entrainer, triompher. Il n'y a pas beaucoup de repos, pour les gens comme nous... Pas encore.

On pense que je suis un monstre. Toi aussi, je pense. Mais j'ai un objectif, et je compte bien l'atteindre... Et sache que tu en fais dorénavant partie. Je trouverai le moyen de te tuer. Ce jour là, tu auras une dette envers moi..."