Là où chantent les cigales, la nuit règne. La lumière d’argent baigne la forêt au surnom lugubre, tandis que ses épais feuillages l’y rendent imperméable. Le ballet des lucioles se mêle aux hululements des chouettes pour apporter une touche aléatoire à la mélodie que les Bois murmurent à leurs occupants. Faune exclue, et même la nuit tombée, il n’est pas rare de faire la rencontre d’humains ou de nains fuyant la civilisation pour se ressourcer dans cette nature hostile et dense. La plus mauvaise rencontre qu’il est possible de faire reste cependant de tomber sur un être s’étant ôté la vie après avoir perdu l’esprit. De tous ces esprits égarés, l’on dit justement que leur existence se résume à une errance en peine dans cette forêt dont ils ne parviennent pas à trouver la sortie et au sein de laquelle ils n’ont pas de sépulture décente.

Si notre protagoniste foule l’étendue de verdure, ce n’est pourtant pas en quête d’âmes en peine, mais bien d’un endroit précis qu’elle a elle-même sanctuarisé. L’adolescente usurpatrice sait qu’il est une partie des bois boudée par ses congénères, répudiée même par la matriarche religieuse de l’archipel. La raison de cette crainte saute aux yeux lorsque l’on prend la peine d’examiner les branches alentour : nombre de potences, variablement soumises aux affres du temps, témoignent d’un attrait des malheureux pour l’autodestruction. Ainsi, cette clairière et les arbres qui l’entourent auront tristement hérité du surnom de sanctuaire des suicidés. Un sobriquet tristement illustré par le fait que certains gibets sont toujours lestés.

Riche de cette sécurité morale, la jeune femme aux yeux d’améthyste brave de nouveau le dit sanctuaire. Là ou elle sait que nul ne sera en mesure de rapporter ce qu’il a vu, Sakuya a décidé d’ériger une stèle servant de sépulture a un illustre en ayant été privé. Au centre de la clairière trône une épée fichée dans le sol. Si aucune inscription ne nomme le supposé enterré, sa nature guerrière se veut suggérée par sa pierre tombale. Seul un œil averti pourrait se rendre compte que l’épée choisie repose dans un fourreau gravé des armoiries de l’ultime lignée Shogunale. Parvenue face à ce monument dont elle est l’instigatrice, l’Asano constatera d’abord qu’elle n’est pas seule. Indisposé à la laisser se recueillir, un cerf occupe fièrement les lieux, chassant toute présence d’un mouvement de son imposante ramure. À la vue de l’humaine, le quadrupède fait résonner ses sabots sur la terre meuble. Pour cause, ses petits sont terrés non loin et encore trop frêles pour se mouvoir. Sa femelle est encore trop éreintée de la délivrance pour prendre part à cette défense.

D’un las soupir, Sakuya bravera l’avertissement du brâmeur. Maintenant le contact visuel avec l’animal, elle commencera par alléger son obi de l’arme qui y repose inlassablement et par laisser cette dernière reposer au sol. Ensuite, ses mains s’élèveront en signe de paix, exprimant comme elle le peut au cerf qu’elle n’est pas venue nuire à sa progéniture. Enfin, tandis que le cervidé la jauge du regard, la Princesse atteint l’objet de son voyage devant lequel elle s’agenouille avant de s’immobiliser.



Murmure-elle a l’objet parfaitement incapable de l’entendre. L’orpheline ignore en vérité ou est-ce que son paternel fut exécuté. Ainsi n’a-t-elle trouvé de meilleur moyen d’assouvir son désir de recueillement que d’assembler de toutes pièces un mémorial. Peut-être que le cerf compris cela, puisqu’il finit par se retirer de la clairière sans émettre le moindre son de protestation. S’il peut la comprendre, Sakuya s’est révélée parfaitement incapable de saisir ce que cherchait à lui communiquer l’animal. Tout comme elle n’aurait pas su comment exprimer sa gratitude d’être laissée seule a seule avec les souvenirs symboliques qu’il lui reste de son ascendant. En effet, si quelques cadeaux de sa mère garnissent sa collection d’art divers, les reliques paternelles sont toutes enterrées dans ce lieu où l’on n’oserait jamais s’aventurer ni les profaner. Toutes, à l’exception de la principale qui repose encore entre les mains de son cousin et suzerain : Ame no Harusame.

La jeune femme regrettait presque de ne pouvoir présenter cette arme à son géniteur maintenant qu’elle avait réussi a approcher son cousin. Sa tête demeure néanmoins assez froide pour qu’elle soit consciente de ne pas encore la mériter. Ses sens eux aussi, demeurent assez éveillés pour ne pas l’isoler dans ce dialogue à sens unique. Ainsi, le craquement provenant de non loin n’échappe pas à son audition, rendant de suite la jeune femme alerte. Dans l’obscurité baignée des lueurs des Feux Follets, une simple humaine ne saurait y voir comme en plein jour. Des regards animaux qu’elle parvient à identifier, aucun ne semble l’approcher. La bretteuse rassemble donc son souffle, ses esprits, puis son courage, dans cet ordre. Elle se détourne de la sépulture de fortune pour récupérer sa propre épée et tenter de capter un nouveau son indésirable. Sa raison s’oppose ici à ses émotions. Elle sait que nul être n’ose s’aventurer dans cette partie des Bois. Pourtant, sa présence prouve à elle seule qu’il n’est pas impossible que cela arrive. Est-ce donc bien un animal qui l’a tirée de sa transe ? L’insulaire ne voit qu’un seul moyen d’en être certaine.



S’étendre sur le manque de respect dû aux défunts était bien inutile, face à un possible profanateur. Pour l’orpheline, il s’agissait surtout de préserver son œuvre du vol et de la dégradation. Néanmoins, l’instant de silence qui suivit sa déclaration achèvera de la persuader qu’il ne s’agissait bel et bien que d’un animal de passage. Ce jusqu’à ce qu’elle remarque l’étrange ballet des lucioles qui semblent à la fois éviter et cibler un endroit précis, un peu plus loin. Le temps pour son regard de s’habituer à l’obscurité et ses pas la guideraient jusqu’à ce point d’intérêt ou elle ne savait pas encore ce qu’elle allait découvrir.