Un dédale de versants pâles séquestrait l’âme félice, quand la fine averse en détraquait presque le mirage faisant office d’avatar. Seul remède à ce défaut, le refuge d’une épaisse capuche et la longue cape-manteau de voyage en simili soie des tisserands elfiques, plus habiles et soigneux dans leurs motifs à vignes que les hominidés voisins ; emmitouflée au-delà d’une armure un brin discrète, la symphonie de ses pas étouffée par les grondements de sa lande fétiche. Alnis entamait sa trotte, synonyme de pleine redécouverte territoriale, par un sinueux détour n’allant point négliger les comptoirs du littoral ni ses indigènes si ardus à fréquenter ; vagabondant de grottes en crevasses et pics, singeant ascètes et autres ermites moins épargnés par la manœuvre.

L’instinct, ou son pendant d’attache affective, l’obligeait encore à revenir à son point d’origine, afin d’asseoir comme autrefois l’ébahissement solennel des marmots nostalgiques de leurs prémices, dont le panorama de l’éveil. Son modeste pinacle, trop analogue aux autres monts du vaste col bordant l’estuaire-récif, ne lui apparut jamais monotone sous les cumulus ombragés que pénétrait à peine la lueur tamisé du saint père. L’endroit demeurait figé dans sa douillette tourmente, propice à l’accueil des randonneurs chevronnés et autres badauds intrépides ou montagnards curieux d’y entrevoir son propre passage, comparé aux danses astrales ; quand la comète de l’abîme revenait hanter sa zone puis l’entier territoire, sujette aux augures des devins ou charlatans de foires, tandis qu’elle abrègerait la sérénité de ce long instant suspendu contemplatif pour se heurter aux cruelles vérités du domaine abandonné à sa misère, avec ses pauvres hères et maudits à secourir.

Elle s’orientait mieux au grès du souvenir que des champs magnétiques, voguant toutefois au rythme des distractions que jalonnait ce parcours abstrus, cyclique. Fût-ce égoïste de chercher sa voie dans l’étude de civilisations balbutiantes, afin de mieux mûrir l’optique d’en dégager une utilité intime, puis un judicieux apport. L’électrine ne cerna qu’ainsi sa juste place, quand autrui s’insérait dans un schéma de survie ou de progrès, mû par la nécessaire activité du biologique talonné par la certitude d’un lent et funeste déclin. Elle, incarnant à contrario une force immuable, phénomène si nébuleux et impénétrable qu’on désespérait d’en savourer la résolution, observait circonspecte à son propre sujet, tel un silvestre voyant vaquer les longues-oreilles.

L’éternelle s’égarait à suivre moultes pistes, trop curieuse, par propension cartographe, fantaisie en cela analogue aux éphémères. Férue d’explorations vierges ou hasardeuses, suivant l’anamorphose d’infimes variations, Alnis s’était comme mise en devoir de découvrir les moindres recoins planétaires, tant insolites qu’anodins ou forts banals, dans une haletante recherche de l’inédit. Un négociant nomade saisonnier se fendit jadis d’une pique, tandis qu’il l’envisageait bien entreprendre d’aussi futiles calculs des grains du désert qu’elle ne répertoriait les pitons des divers cols.

Connaître un territoire lui permettait de mieux comprendre les peuples et groupuscules vers qui s’élançait sa grande lubie : conserver une trace de ces vies, tant fugaces qu’exotiques, mais surtout organisées en cercles de semblables.

Sa propre singularité lui causait parfois sourde détresse, jalousant presque ces spécimens trop agités pour saisir leur privilège. Sa secrète et frénétique espérance demeurait la formation d’un binôme avec un congénère, sinon une créature qui s’en rapprochait, sans désirer contraindre cette compagnie. Satisfaire enfin ce besoin d’écho étrillerait la pénible solitude, diffuse, pour peu effilochée par l’énergique vogue chez de parfaits inconnus, cheminant sans cap vers de lointains horizons où résider, d’une certaine manière, quelques mois ou années, s’oubliant par le biais d’intenses crises d’euphorie.

Elle aima donc retrouver sur son site d’anciens partenaires de joutes lyriques, qui se réunissaient ici selon ses lettres, plutôt qu’en un club ou quelque taverne de la capitale. L’occasion d’une soirée plus fameuse, dans le cadre si empreint de poésie. D’autant que l’ultime aubaine ragaillardît ces vieillards. Eux préférant périr d’une pneumonie que calancher sur scène, dans le conformisme éloignant l’exaltation. Miss mèches mimosa s’adonnait ce soir au petit défi linguistique amical d’énumération de palindromes, décochés de façon dramaturgique, sans avoir recours au très vaste vocabulaire de dialectes étrangers à ses assez bons adversaires, rompus à l’exercice. Préparés à l’apothéose.

_ Engage le jeu, que je le gagne !

_ Rions noir.

_ À revers, rêvera.

_ À rêver, crèvera.

_ C’est sec.

_ Il a sali.

_ Le sac à sel.

_ L’abrupt et pur bal.

_ L’âme des uns jamais n’use de mal.

_ L’âme sûre ruse mal.

_ Nie, reste net, serein.

_ Non à ce canon.

_ Par-delà le drap.

_ Trace là mon nom, à l’écart.