Le Bois-Vivant. Cet endroit n'était plus étranger au Khan et a sa petite cour, qui avançait d'un pas sûre dans la forêt. Le groupe était par contre bien plus conséquent que la dernière visite. Le peintre, Aaron, était bien présent, juste derrière le Khan sur son cheval, en train de griffonner les environs. Rien de vraiment tactique, c'était purement artistique. Les éclaireurs du nomade avait déjà fait une carte simple des environs, sans jamais s'aventurer trop loin des sentiers battus par sécurité et pour éviter de mettre en colère la cheffe des lieu.

Outre nos deux gais lurons, occupés chacun à admirer l'environnement, une longue escorte. Au sol, c'était au minimum une dizaine, proche de la vingtaine, d'hommes enchainés aux pieds entre eux, avançant en file. Une ambiance bien différente de ce qui se passait devant. Des hommes-bêtes, des humains, tous étaient Qalishi et vu leur carrures, tous étaient des guerriers. Sur des chevaux, des cavaliers légers surveillait les captifs au poil.







Un grognement sourd émane de la gorge du Khan. Depuis qu'il avait monté en galon et que les Bats-le-désert s'étaient divisés, il tolérait d'autant moins les injures et les manques de respect à son égard. Bien heureusement pour le mignon petit elfe, sa suite était bien la seule exception à la règle. Il ne pouvait que râler.

Et oui, derrière eux, c'était bien ce qu'ils considéraient comme des "traitres". Parmi tout ce beau monde, des anciens nomades qui avaient rejoins le nouvel opportuniste, des marchands bien trop véreux et autres qui avaient voulus passer outre l'autorité soit du Khan, du Prince ou du Pharaon. Et tous, se dirigeaient, baillonés, enchaînés et liés vers l'antre de la Recluse Brune. Le but était donc de faire d'une pierre deux coup, un sacrifice qui permettrait au Khan d'être un peu plus fort, en plus d'éliminer des opposants qui auraient été difficiles à caser autrement. C'était le genre de profil avec soit un peu trop de force ou de galon pour devenir un esclave ou travailler de force, c'était l'occasion parfaite. Et c'était tout autant parfaitement cruel.

A des kilomètres du désert, la pitié et la brutalité de celui-ci restait présente dans les cœurs de tout un chacun. La fin, justifie les moyens pour le Khan et pour Aaron, il essayait simplement d'oublier tout ça tant bien que mal et de se concentrer sur ses gribouillis. Les forêts étaient plus que rare en Qalish, et c'est un euphémisme.

Comme à chaque venue d'un invité de marque, les Bois offrent à leur invités une route droite et toute tracée sur des sentiers moyennement praticables pour la troupe nombreuse, ceux sans monture devront parfois éviter quelques racines amusantes qui se glissent à travers le sol pour donner l'irrégularité suffisante à faire chuter les moins habiles et les plus fatigués.

La couverture du ciel leur donnait cependant une atmosphère étouffante, la chaleur ne se dissipait pas très bien et l'humidité de la rivière non loin s'était engouffrée dans les arbres pour donner cette mauvaise journée trop brûlante et trop humide. Dommage pour ceux qui n'y étaient pas habitués.
Malgré tout, ça et là sur le chemin se trouvaient des buissons à baies singuliers, les plus méfiants n'auraient vu là que de petites billes orange-jaunes dégoulinantes à l'odeur enivrante, mais les plus courageux se seraient vus récompensés par des fruits uniques au gout et à la fragrance du miel.

Mais comme tout était un subterfuge dans cette forêt, et au delà des sentiers, dans l'ombre des arbres qui se densifiaient en s'éloignant du chemin de terre, on apercevait l'origine de ces buissons. Sur différents cerfs et animaux morts, des pousses semblables à des pieux de bois vidaient la contenance des créatures. En marchant, toute la durée de vie du buisson fut présenté loin dans la forêt, de l'animal agonisant présentant une maladie fongique rongeant son cuir, en passant par un cadavre mi-dévoré où des racines couvertes de champignons avaient changé le mort en un engrais distribué à la terre et aux environs par différents nuages de spores, jusqu'enfin arriver à la carcasse presque entièrement consommée où les champignons avaient laissé un terrain propice à produire un buisson fruitier nouveau et exquis.

Leur route les mènera directement à la demeure de la recluse, une petite maisonnette de bois de laquelle s'extirpait un épais arbre qui avait poussé en son sein. Depuis longtemps, la toiture avait été détruite par l'arbre aux branches similaires à de l'obsidienne autant en couleur qu'en texture et dureté.



A l'entrée, il y avait en effet un petit tapis au sol, avec noté dessus un message accueillant :


Qui contrastait étrangement avec l'ambiance. Mais une fois mis un pied à l'intérieur, on se trouvait dans un petit salon aménagé surtout de livres, de chaises, de bibliothèques, d'une table ornementée en bois et d'une cheminée où chauffait déjà du thé.

La Recluse Brune, elle, était assise dans un fauteuil confortable, de son côté de la table et ne laissant pas d'autre place assise ici. Seule deux chaises de bois misérables s'offraient de l'autre côté. La dame à la beauté immaculée passait son temps à se brosser les cheveux calmement, une chevelure noire de jais qui cascadait en réalité presque jusqu'à ses pieds quand elle était libérée.

Elle leur laisserait le premier regard, la première parole. Curieuse d'entendre comment leur introduction se ferait.

Le convoi s'arrêtera net devant la maison. Le voyage, la température et le fait que certain prisonniers aient mangés les succulents fruits, juste avant de voir leur provenance avait épuisés ceux-ci au point ou certains se retenaient de s'écrouler. Ils devaient marcher depuis longtemps, très longtemps sans aucun répit car les gardes à leur suite allaient plutôt bien, de même pour leurs destriers. La vision d'horreur ne découragera pas certains d'entre eux, qui se remettront à manger le fruit mielleux, car de toute façon, il n'y a pas d'autres choix pour ces miséreux.

D'un signe de main bien en l'air, le Khan faisait signe à tout les cavaliers de descendre, lui même venant descendre en prenant Aaron dans ses bras, comme une poupée de porcelaine fragile. La petite chose délicate ne se gênera pas de venir asséner des petits coups de poing sur le crâne du guerrier avant d'être enfin déposer au sol, où il époussètera sa tenue.




Le guerrier poussera un rire gras en tapotant la chevelure blanche de son petit peintre, il savait très bien que Theles ne ferait rien face à ça mais c'était devenu une blague récurrente dans son entourage. Le dénoncer au prince-héritier pour qu'il aille se faire taper les doigts à chaque petite bêtise faite. Les cavaliers venant s'occuper pendant ce temps de regrouper les prisonniers derrière le chef de file. Les autres restent dehors, l'air plutôt détendu, s'occupant de leur animal ou de leur équipement, ils sont pour eux en territoire amis. La plupart ont vus le tapis à l'entrée de la maisonnette, renforçant ce sentiment.

La chaîne du premier prisonnier en main, les deux comparses rentrent enfin dans la maison. Une ligne sera faite dans le salon pour tous les aligner, tandis que Aaron s'assoit sans gêne dans la chaise en face de Recluse, Eren reste debout encore quelque temps.




Il claque des doigts et un soldat apporte à l'intérieur un tableau, un portrait de la Recluse Brune, dans un style appelé "Postimpressionisme". La brune est assise sur un petit tabouret, entourée de toutes part par des fleurs orangées, des feuilles dans le même ton.




Il viendra ensuite s'asseoir à la chaise juste à côté de son peintre, un sourire fière et son tableau dans ses mains.




Aaron hoche sa petite bouille d'un air insolent et suffisant, comme à son habitude.

Les yeux de la Recluse trahissaient une fatigue apparente, et ses allures bien hautes qu'on lui avait sans cesse attribué se voyaient défaits devant la simplicité de l'intimité d'un foyer. Chez elle, maîtresse des lieux, elle était moins cérémonieuse.

Malgré tout, la grande dame habillée de sa robe somptueuse aux pans longs et sveltes demeurait ainsi assise gracieusement dans un fauteuil au cuir de qualité aux teintes pourpres, un livre ouvert en coin de table témoignait de sa dernière escapade spirituelle, quand face à l'insomnie, elle n'avait trouvé comme unique solution que le refuge de la fantaisie, mais pour les moins observateurs, rien que les lignes noires de maquillage décorant ses yeux suffisaient à dissimuler son état physique plus faible que d'ordinaire, car il fallait toujours pour elle garder son allure minaudée.

La Recluse passa en revue tout ce qui lui était présenté, soulevant le dos d'une main à son menton pour le soutenir là où un coude trainait sur la table. Les prisonniers, son présent, ne semblait pas beaucoup plus l'intéresser une fois constaté le manque d'œil divin. Cependant, le tableau fut notifié d'un sourcil relevé.

Un doigt scella un sort magique en direction de l'œuvre d'art, et un sort de télékinésie vint le faire s'élever loin des mains du rustre soldat, en suivant l'index voltiger, on déduisait la trajectoire de la toile qui serait installée en à peine quelques dizaines de secondes d'un côté de l'âtre de la cheminée, laissant à son opposé une place vide.



La vile sorcière ourla un sourire en coin, joueuse dans les négociations, elle ne voulait pas les laisser s'éclipser sans les voir donner un peu de leur plus belle verve, elle qui se languissait d'entendre des récits venant d'au-delà de son bois, sans jamais admettre vouloir entendre d'histoires.

Face à la Recluse, le Khan pâlissait bien en terme de classe. Guerrier qu'il est, il était venu dans son armure lamellaire habituelle, prenant quand même le soin de retirer quelques armes sur son équipement pour paraître un peu moins menaçant. À côté, le petit peintre était bien apprêté dans une petite chemise violette, supplanté d'un short noir et de bottes de cuir montantes, il était croquant à souhait, avec un léger maquillage sur ses joues et pommettes et sa chevelure albâtre coiffée en une unique tresse, le fait que la sorcière le regardait si mielleusement n'était pas si étonnant que ça.

Le petit elfe détourne le regard, ses oreilles elfiques légèrement baissées.




C'était clairement une excuse, le pauvre petit elfe était bien trop sensible pour tout ça et ce qu'il avait vu sur le chemin; les animaux infectés par un champignon; avait marqué au fer rouge l'esprit de celui-ci. Quelle massacre pouvait faire une créature si mortifère, sordide ? C'était un traumatisme qu'il n'allait pas s'infliger bêtement, ce dit-il simplement.

Le Khan lui, arborait juste une mine déconfite. Il a ramené tout ces prisonniers pour quasiment rien ? Au moins, ce sera un poids en moins mais, au vues des événements récents, il n'allait pas ramener un œil de si tôt.




Il tire alors sur la chaîne des pauvres prisonniers alignés, secouants ceux-ci avec presque de l'enthousiasme. Il attire la tradition sur la marchandise, renouant avec son sombre passé de marchand d'esclave.




Il n'y avait rien après le mais, c'était tout. Bien heureusement, Aaron interviendra une dernière fois, essayant de compatir avec l'imposante sorcière.

Le regard de la Brune était désormais planté sur le peintre éphèbe, quelque chose d'anormal viendrait titiller l'esprit des plus malins. C'était un sort d'illusion qui venait de filer d'entre ses lèvres, une incantation verbale en langue sylvaine fila aux oreilles du garçon et de lui seul. La main droite de la Recluse elle aussi ira se projeter dans la direction du garçon pour lui saisir les doigts et doucement le reste de sa paume d'un geste affectif.

Dommage pour le peintre qui n'avait pas eu le loisir de résister face à la différence de puissance, puisque la Recluse le noyait sous un de ses sort d'illusion les plus puissant.



Mais là, la raison du geste de la Recluse sera immédiatement offerte aux spectateurs impuissants.

Point de vue du Peintre.

L'œil divin de la Recluse se mit à briller, et son autre main aurait articulé un geste en direction des prisonniers. Aaron aurait pu apercevoir chez eu un vacillement mais tour à tour, les prisonniers escortés ici semblèrent tomber dans une rêverie, un sommeil qui faisait se dénouer leurs dernières forces et tout le fardeau d'une vie bien remplie.

Dans le fond de la pièce, à l'opposé de l'attroupement, les planches du sol comme de certains murs s'articulaient face à la volonté de la sorcière pour laisser passer des racines serpentines, chaque membre gesticulant tout fait de bois venait se saisir tour à tour des victimes de ce repos éternel.

Il était cependant difficile de ne pas noter la rareté de l'arbre que la Recluse manipulait, son écorce était peinte d'un noir abyssal pourtant naturel, la texture donnait tout du verre mais le constat des sillons typiques du bois comme de sa flexibilité et du bruit qu'il produisait ne donnaient rien à imaginer d'une structure différente de celle à laquelle tout être était habitué.

Ce constat à peine passé, les victimes toutes enchainées venaient d'être avalées par la terre et par l'arbre, ne disant trop où les pauvres se trouvaient ensuite. Peut-être était ce préférable d'atteindre une fin douce, bercée par un rêve avant la coupure finale ? D'aussi près, tout cela paraissait pourtant si doux dans son exécution.

Point de vue d'Eren.

L'œil divin de la Recluse se mit à briller, et son autre main aurait articulé un geste en direction des prisonniers.
Eren pouvait apercevoir de multiples planches vibrer autour de lui, et tous ses réflexes de survie venaient de s'affoler d'un instinct impossible à réprimer. Contrairement à Aaron qui bénéficiait d'un traitement de faveur, l'horreur de la réalité ne sera épargné à personne d'autre que le jeune peintre.

Une fraction de seconde aura suffit à faire naitre des dizaines de pieux de bois, tous noirs de jais et émanant de la maison, qui prenaient pour origine l'arbre noir et monstrueux poussant au milieu des fondations de la demeure de la Recluse. Aussi hasardeuse aurait pu être la réaction d'Eren et de ses soldats, aucun ne serait touché, ni blessé par ce qui allait suivre.

Un battement de cœur intense amenant toute l'adrénaline d'un réflexe vital nécessaire à ce moment aurait à peine été assez vif pour mesurer à quelle vitesse tous les prisonniers présentés venaient d'être abattus. Le premier de file fut transpercé dans le crâne, une lance épineuse avait changé son visage en une allure cauchemardesque, déchiré par les protubérances tranchantes de la racine agile.

Le second comme le troisième furent empalés net au niveau de la poitrine, en plein cœur, ainsi que dans les poumons. Le suivant à la gorge. Et le constat se répétait sur toute la série d'offrandes. Un dénominateur commun affectait la scène : une mort à chaque fois aussi rapide que possible, et une sélection des zones frappées empêchant tout réflexe et tout cri. Une disparition silencieuse.

Les cadavres ne saignaient pas. Les racines plantées dans chaque dépouille figées dans la dernière posture que les vivants avaient tenues se chargeaient déjà d'absorber toute leur essence vitale sous l'influence de l'oeil divin Dendro de la Recluse.

Tour à tour, ils vinrent à se dessécher complètement, la peau des victimes virant à la nécrose noire. Puis chaque pieu se débarrasserait des corps en les emportant sous terre.

La froideur de la scène était d'autant plus surréaliste à voir les planches de la demeure reprendre leur place, comme si de rien n'était. Donnant un constat sanglant et un exemple parfait de ce qui séparait le commun des mortels d'une prétendante à l'ascension divine. A la digne propriétaire d'un œil divin.





Puis son regard revint sur le peintre, pour dissiper toute illusion l'affectant. Elle le laisserait mesurer la réaction de ses comparses, comprendre ce qui s'était vraiment passé, ou profiter encore un peu d'un temps d'innocence. Aucune trace de la tuerie n'avait été laissée, mais rien n'empêchait les autres témoins d'y réagir.

En voyant la sorcière s'approcher ainsi, l'embarras s'empare du pauvre petit peintre qui s'empourpre presque instantanément. Il lève doucement ses deux mains pour l'empêcher de trop s'approcher, mais, quand l'incantation elfique arrive à ses oreilles, il reconnait un sort. Le petit mage de cour ne sera ni assez fort ni assez expert pour déceler quel sort c'était sur le coup et même y résister, prenant maintenant légèrement peur en se rendant compte de la vraie étendue du pouvoir de celle-ci.

Son regard lavande suit le doigt de la Recluse et vers où elle pointe, bien attentif à la prochaine scène. Une nouvelle émotion rentre en jeu; la confusion. Lui qui attendait à voir un sanglant massacre, il ne voit que des racines sortir sagement des planches et entraîner les prisonniers qui étaient simplement tombés au sol mollement.

Il guette, une à une, les réactions de ses camarades face à tout ça pour démêler le vrai du faux et, avec tout ça, il n'aura même pas remarqué que la sorcière était en train de lui saisir la main tendrement.




Du côté du reste du groupe et de ce qui était observable, ce n'était pas glorieux. Chaque soldat était comme figé sur place, armes en l'air suite à la soudaine apparition de racines tueuses et, la mort brutale n'arrangeait pas les choses. Même pour les plus enhardis d'entre eux, le choc se lisait sur leur visage, pour ceux qui ne se le cachaient pas par peur d'une projection sanguine qui ne viendra jamais.

C'était si rapide et violent, comme si une proie venait de se faire abattre par une prédateur. Certains des sacrifiés étant d'anciens soldats, c'était d'autant plus impressionnant de les voir disparaître, le corps parfois violemment mutilé comme avec la première victime.

Un silence de plomb règne, qui n'avait pas été levé même après l'intervention de la petite voix elfique.




L'homme-bête ricane doucement, le poing serré. Sous couvert de l'humour, il pouvait cacher le choc et l'horreur que lui aussi avait reçu, même s'il n'avait pas été lui figé sur place. Un monologue tournait en boucle à fond de son esprit, répétant à quel point toute cette barbarie était nécessaire pour lui, la suite des choses et tout le reste, pendant qu'il fronçait un sourcil en remarquant la proximité qu'elle avait avec son petit peintre.

Le respect était toutefois de mise et il n'allait pas plus se plaindre devant la Recluse Brune, surtout après une telle démonstration de son pouvoir en son antre.




Il était prêt à laisser son petit peintre avec elle une heure entière si c'était pour obtenir un objet enchanté en retour et bien heureusement, il pouvait le garder pour lui pour l'instant. Lui qui n'espérait rien en venant ici, qui avait vraiment une petite intention de tenir compagnie un bout de temps avec Recluse, il allait repartir avec quelque chose, un fin sourire sur ses lèvres se faisant voir.