Ft. Farah

Assis dans sa tente, Adrian demeurait immobile, ses pensées enchevêtrées dans le voile troublant des événements récents. Autour de lui, le silence pesant du camp résonnait comme une anomalie, un vide oppressant là où il aurait dû entendre le cliquetis des armes, les murmures des soldats, le bruit familier de la vie quotidienne. Rien de tout cela ne parvenait à ses oreilles. À la place, il y avait ce calme inhabituel, presque surnaturel, qui étouffait tout, comme si le camp entier retenait son souffle après un souffle suspendu. Ses hommes, pourtant aguerris, gisaient à demi-conscients, sonnés mais indemnes. L'assaut qui les avait mis hors d'état n'avait laissé aucune trace visible de violence, et cela, plus que toute autre chose, glaçait le sang d'Adrian.

Lorsqu'il perçut la présence de Farah entrant dans la tente, il leva lentement la tête, ses yeux encore voilés par la confusion et le choc. Les éclats d'inquiétude sertis dans les prunelles de la matrone ne lui échappèrent pas, mais il ne parvint qu’à lui renvoyer un regard empreint d’une lassitude mêlée d’une sorte de reconnaissance muette. Elle avait immédiatement compris que quelque chose s'était produit en son absence et Adrian n’avait même pas besoin de chercher les mots pour lui en transmettre la gravité. Le silence entre eux était chargé de significations non dites, de craintes partagées sans qu’un mot ne soit nécessaire.

Le nom de Darui n’avait pas été prononcé, mais il planait lourdement dans l’air. Le Père du Sommeil, ce chasseur implacable, était passé ici comme un spectre, laissant derrière lui des corps affaissés mais vivants et un prince qui se savait désormais sous une menace directe. Ce qui troublait Adrian davantage que la neutralisation de ses gardes, c'était cette étrange miséricorde, ou du moins, ce choix délibéré de ne pas l’affronter directement. Darui l’avait trouvé, l’avait observé et avait choisi d’attendre. Pourquoi ? La question ne cessait de tourner dans son esprit, tel un poison lent mais certain.

Baissant les yeux un instant, Adrian tenta de reprendre le contrôle de ses émotions, de calmer la tempête qui rugissait en lui. Il était un prince, un porteur d’un œil divin unique et pourtant, en cet instant, il se sentait comme une proie mise à nu devant une force qui le dépassait. L’ombre de Darui semblait s'étendre bien au-delà de sa seule personne, enveloppant tout ce qu’il avait juré de protéger.

Quand il releva les yeux, ce fut avec une détermination calme mais fragile, une volonté de montrer qu’il était encore maître de lui, quand bien même le sol semblait se dérober sous ses pieds. Ses paroles, lorsqu'elles franchirent enfin ses lèvres, furent empreintes d’une retenue calculée, mais également d'une vérité qu'il ne pouvait ignorer. Il devait rassurer Farah, mais il devait aussi se rappeler qu'il ne pouvait céder à la peur, même si celle-ci avait trouvé une nouvelle place dans son cœur.

"Je vais bien. Il n'est pas venu pour se battre contre moi... Tout du moins pas physiquement."

Le souvenir des gardes étendus à terre, du camp plongé dans un silence déconcertant, tout cela restait imprimé dans son esprit comme une cicatrice invisible qui devait lui rappeler le pire à envisager. Prenant une profonde inspiration, le jeune prince se redressa.

"Allons voir comment se portent les gardes. Voulez-vous ?"

Le souffle du danger n’avait pas disparu ; il était simplement en suspens et Adrian savait que ce répit ne durerait pas. Pourtant, pour l’instant, il n’y avait rien d’autre à faire que de demeurer vigilant, de puiser dans ses dernières réserves de force et d’attendre, l’esprit en alerte, que Darui montre à nouveau sa main.

Ft. Farah

Tandis qu'il s'apprêtait à sortir de la tente, Adrian soupira. Il sentait encore la chaleur réconfortante de la magie de Farah parcourir son corps, comme un baume apaisant sur une plaie encore fraîche. Le tremblement imperceptible de ses mains s'était calmé, son souffle, auparavant court et haché, s'était ralenti, retrouvant un rythme plus régulier. Pourtant, derrière cette apparence de calme retrouvé, son esprit restait marqué par la rencontre étrange avec Darui. La voix posée de Farah et son intervention délicate avaient ramené Adrian à un état de lucidité, mais elles n’avaient pas effacé la réalité froide de la situation.

Alors qu’il avançait vers l’extérieur, les pans de la tente écartés devant lui, le silence du camp s’imposait de nouveau à lui. Ce silence, loin d'être un signe de paix, portait le poids de l'efficacité impitoyable de Darui. Adrian scrutait les alentours, ses yeux captant chaque détail, chaque soldat se relevant avec précaution, tentant de retrouver une contenance malgré l'humiliation silencieuse qu'ils avaient subie. Aucun cri, aucun gémissement de douleur n’était perceptible ; les hommes étaient sonnés, mais en vie. C'était là une victoire en soi, mais une victoire teintée d’une étrange amertume.

Alors qu'il avançait, ses pas décidés mais mesurés, il sentait les regards de ses soldats se poser sur lui. Ils cherchaient en lui un point de repère, une figure d'autorité à laquelle s'accrocher dans ce moment d'incertitude. Adrian le savait. Il sentait le poids de leurs attentes sur ses épaules, un fardeau qu'il portait avec une conscience accrue de sa propre vulnérabilité. Pourtant, il ne pouvait se permettre de montrer la moindre faiblesse. Ses soldats, déjà ébranlés par l'incident, avaient besoin de le voir fort, capable, inébranlable.

Il inspira profondément, rappelant à lui les mots de Farah, cette nécessité de montrer un visage serein, même si son esprit bouillonnait de questions et d’appréhensions. En s'arrêtant près d'un groupe de gardes qui se massaient autour de l'un des leurs, encore légèrement étourdi, Adrian posa un regard bienveillant sur eux. Il prit soin de maintenir une posture droite, sa voix, lorsqu'il s'adressa à eux, était ferme mais empreinte d’une douceur calculée.

"Mes amis..." Commença-t-il, sa voix s’élevant avec une assurance qu’il ne ressentait pas totalement, mais qu’il devait feindre pour le bien de tous. "...Ce qui s’est passé aujourd’hui est une preuve de la réalité des dangers auxquels nous sommes confrontés. Mais vous avez tenu bon, et je suis fier de chacun d’entre vous."

Il marqua une pause, observant les visages devant lui, cherchant à capter dans leurs yeux ce mélange d’émotions – le soulagement, l’humiliation, mais aussi l’attente d’un réconfort que seul lui pouvait leur offrir.

"Ce n’était pas un simple adversaire que vous avez affronté..." Continua-t-il, pesant chaque mot avec soin. "C’était Darui, le Père du Sommeil, un homme dont la réputation n'est plus à faire. Le fait que vous soyez tous en vie, et que nous puissions nous tenir ici ensemble, témoigne non seulement de votre résilience, mais aussi de sa volonté de nous épargner aujourd’hui."

Il laissa ces mots flotter un instant, permettant à chacun de les digérer. Il voyait bien le mélange de surprise et de respect dans leurs regards, et il savait que ces hommes, aussi forts soient-ils, avaient besoin de croire en quelque chose de plus grand, en leur capacité à survivre à des forces bien au-delà de leur contrôle.

"Mais ce n’est pas une raison pour baisser la garde." Ajouta-t-il, sa voix se raffermissant, gagnant en intensité. "Ce que nous avons vécu aujourd'hui est un avertissement. Nous devons rester vigilants, nous préparer pour l’avenir, car nous ne savons pas ce que ce jeu d’ombres nous réserve encore. Je vous demande de redoubler de prudence et de détermination."

Adrian termina son discours par un léger signe de tête, une reconnaissance tacite de leur loyauté et de leur courage. Il les avait rassurés, autant qu’il le pouvait, mais il savait aussi que cette paix était fragile, précaire. Le danger était passé pour l’instant, mais le spectre de Darui planait encore sur eux, invisible mais omniprésent.

Alors qu’il se tournait pour continuer son chemin, toujours conscient de Farah marchant à ses côtés, il sentit une nouvelle détermination se forger en lui. Il ne pouvait plus se permettre de douter, ni de céder à la peur. Ses hommes dépendaient de lui, et il se devait de les guider avec la force et la sagesse que son rang exigeait. L'épreuve n'était pas terminée et il savait que des décisions difficiles l'attendaient, mais pour l'instant, il devait se concentrer sur l'essentiel : maintenir la cohésion, préserver l'espoir et surtout, rester vigilant face à un ennemi qui avait choisi d’attendre son heure.

Il jeta un coup d'œil discret à Farah, toujours à ses côtés, silencieuse mais présente, comme un ancrage inébranlable dans la tempête qui menaçait de l'engloutir. Sa simple présence était un réconfort, mais aussi un rappel constant des responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Il ne pouvait plus se permettre de faiblir, pas maintenant, alors que tant de vies dépendaient de lui.

Alors qu'ils s'éloignaient des regards des soldats, Adrian ralentit son pas, laissant le poids de ses pensées se décanter. Il s’arrêta finalement, se tournant légèrement vers Farah, cherchant dans son regard cette sagesse calme qu’il avait appris à respecter. Il prit une inspiration profonde, sentant le besoin d'ouvrir son cœur, de partager avec elle les doutes qui le hantaient encore.

"Merci Farah..." Commença-t-il doucement, sa voix à présent dénuée de la fermeté qu'il avait affichée devant ses hommes. "...Vous m'avez permis de faire bonne figure devant mes gens et je vous en suis reconnaissant. J'aimerais cependant que vous me disiez votre pensée."

Il laissa sa voix se faire plus basse, cependant qu'il s'osait à la confidence.

"Vous avez vu ce qu'il s'est passé et vous savez ce que j'ai ressenti. J'ai besoin de votre avis et votre conseil avisé sur cette situation." Il s'arrêta un instant, cherchant les bons mots. "Darui… il a choisi de parler, de ne pas frapper. Mais pourquoi ? Et comment devons-nous répondre à cela ?"

Adrian plongea son regard dans celui de Farah, cherchant à y lire une réponse, ou du moins une direction. Il savait qu’elle était plus qu’une protectrice, qu’elle possédait une intuition qui lui échappait parfois. En cet instant, il avait besoin de cette clarté, de cette perspective différente pour affronter ce qui les attendait.

Ft. Farah

Les paroles de Farah, empreintes de sagesse et d’une expérience qu’il ne pouvait qu’admirer, résonnèrent dans l’esprit d’Adrian alors qu’ils marchaient côte à côte, s’éloignant du camp. Ses mots avaient porté un poids particulier, une gravité qui venait de sa propre histoire, de ses propres blessures. Adrian, tout en l'écoutant, ne pouvait s'empêcher de réfléchir à la complexité de la situation dans laquelle il se trouvait. Il était rare qu’il se sente aussi démuni, aussi incertain quant à la marche à suivre.

Darui… Ce nom portait désormais une signification nouvelle, une menace latente, une énigme qu’il n’était pas sûr de vouloir résoudre. L’ombre de cet homme planait encore sur le camp, malgré son départ. Adrian ne pouvait ignorer la vérité crue dans les paroles de Farah : s’ils étaient encore en vie, c’était simplement parce que, pour l’instant, ils ne représentaient pas une menace pour lui. Cette idée le mettait mal à l’aise, le poussant à remettre en question la sécurité qu’il avait toujours crue acquise grâce à ses gardes et à ses propres compétences.

Il marchait en silence, pesant chaque mot que Farah avait prononcé, sentant la fatigue physique et mentale s’abattre sur lui comme une chape de plomb. Il savait qu’il devait prendre une décision, déterminer la voie à suivre, mais comment faire face à un homme comme Darui ? Quel genre de lien pouvait-il tisser avec un être dont la vie était vouée à une quête aussi impitoyable, aussi dénuée de considération pour les vies qu’elle écrasait sur son passage ?

Adrian s’arrêta finalement, laissant Farah poursuivre encore un instant avant de se tourner vers elle. Il se redressa, croisant les bras dans une posture qui tentait de masquer sa vulnérabilité. Il savait qu’il ne pouvait plus avancer seul, pas dans cette situation. Il avait besoin de ses conseils, de sa clairvoyance.

"Merci pour ce partage..." Dit-il doucement, sa voix marquée par une fatigue qu'il ne pouvait plus dissimuler, "...Vos paroles me donnent à réfléchir. Ce que vous m'avez raconté de cet homme, de votre expérience avec quelqu’un comme lui… Cela m’effraie, je ne vous le cache pas. Je me demande si je suis prêt à affronter ce genre de personne, s’il décide un jour que je suis son ennemi."

Il marqua une pause, cherchant les mots justes pour exprimer ce qu’il ressentait. "Notre rencontre a été étrange… Il n’était pas hostile, mais il était clair qu’il pourrait l’être à tout moment. Il semblait… observer, évaluer. Il m’a posé des questions, sur moi, sur mes convictions, sur ce que je cherche à accomplir. J’ai répondu honnêtement, mais maintenant, je me demande si j’ai fait le bon choix."

Adrian baissa les yeux un instant, le poids de ses responsabilités se faisant de plus en plus lourd. Puis, il les releva, cherchant dans le regard de Farah la réponse à ses doutes. "Je n’ai pas la prétention de savoir ce qui anime Darui, ni de comprendre entièrement ses motivations. Mais ce que vous m'avez dit me fait réaliser que je dois me préparer à tout. Je dois me montrer prudent, mais aussi… stratégique."

Il inspira profondément, prenant une décision intérieure. "Je ne veux pas le voir comme un ennemi, du moins pas encore. Mais je ne peux pas non plus ignorer ce qu’il représente."

Adrian sentait encore les répercussions de la rencontre avec Darui vibrer en lui, comme une corde tendue prête à se briser. Les questions que l'homme avait posées tournaient en boucle dans son esprit, chaque mot résonnant comme un avertissement. Darui n'était pas seulement venu pour observer ou évaluer ; il était venu pour semer le doute, pour confronter Adrian à des vérités qu'il n'était peut-être pas encore prêt à affronter.

Alors qu'il reprenait sa marche aux côtés de Farah, ses pensées entendaient le ramener sans cesse à ces moments intenses, à cette voix froide mais étrangement prophétique. Darui avait posé ses questions avec une telle certitude, qu'Adrian en venait à s'interroger sur ses propres réponses. Il avait toujours cru que son rôle était de protéger son royaume, d'assurer la paix et la prospérité pour son peuple. Mais l'assassin avait insinué une autre réalité, une destinée où Adrian serait contraint de prendre des vies, de faire des choix qui le mèneraient sur un chemin sombre et inévitable.

Quand bien même il avait veillé à ne rien laissé paraître de ses craintes, les mots du Père du Sommeil avaient résonné profondément en lui, éveillant des peurs qu'il avait déjà éprouvées. Depuis toujours, Adrian avait voulu croire qu'il pourrait gouverner avec sagesse et compassion, éviter la violence là où d'autres auraient cédé à la brutalité. Mais Darui lui avait rappelé cette autre facette du pouvoir qu'il craignait. Une réalité où la violence était inévitable, où le sang devait être versé pour préserver ce qui était cher.

En arrêtant une nouvelle fois ses pas, Adrian se tourna vers Farah, luttant pour maintenir un calme extérieur tandis qu'à l'intérieur, ses émotions se déchaînaient. Il n'était plus seulement question de ses hommes ou de la sécurité du camp ; il était question de lui, de ce qu'il était prêt à devenir.

"Farah..." Commença-t-il, sa voix tremblant légèrement malgré lui. "...Pensez-vous que je puisse devenir un meurtrier ?."

Il fit une pause, cherchant ses mots, essayant de contenir l'angoisse qui montait en lui. "Je ne veux pas croire que c'est inévitable. Je veux penser qu'il y a toujours un autre chemin, une autre solution. "

Il plongea son regard dans celui de Farah, espérant y trouver des réponses, ou au moins un réconfort face à l'incertitude qui l'envahissait.

Ft. Farah

Adrian écoutait attentivement chaque mot, absorbant les réflexions complexes qui émanaient de Farah. Sa réponse, imprégnée d'une sagesse amère, résonnait profondément en lui. Les nuances qu'elle apportait à la notion de meurtre le laissaient pensif, mais aussi plus troublé que jamais.

Elle avait raison, bien sûr. Les catégories simples comme "meurtrier" et "héros" ne suffisaient pas à capturer la complexité des choix auxquels il serait confronté. Ces termes, pourtant si chargés de sens, se dissolvaient dans le contexte du pouvoir et de la guerre. Adrian savait que ses décisions, en tant que Roi, auraient des conséquences mortelles, non seulement pour ses ennemis, mais aussi pour ceux qu'il ne pourrait pas protéger. Le poids de cette responsabilité, de cette inévitabilité, commençait à se faire sentir avec une lourdeur qui menaçait de l'écraser.

Il prit une profonde inspiration, essayant de formuler une réponse à la hauteur de la gravité de la discussion. "Je comprends ce que vous dites. Je crois que j'ai toujours su, d'une certaine manière, que ce jour viendrait. Un jour où je devrais faire des choix impossibles, où la vie et la mort ne seraient plus qu'une question de perspective... Mais l'entendre formulé ainsi, avec tant de clarté, c'est différent. Cela rend les choses encore plus inévitables."

Il marqua une pause, cherchant à ordonner ses pensées, à trouver un fil conducteur dans ce dédale de réflexions morales. "Je suppose que ce que je crains le plus, c'est de perdre de vue ce que je suis, ce que je veux être. De laisser ces actes, ces... meurtres, me définir. De devenir quelqu'un que je ne reconnaîtrai plus, quelqu'un qui justifie tout au nom d'un plus grand bien, mais qui finit par perdre son âme dans le processus."

En proie à ses réflexions, le jeune prince leva les yeux vers les cieux comme s'il pouvait y trouver une quelconque vérité pour confirmer ou infirmer ses propos. "Je ne veux pas être ce genre de dirigeant. Mais peut-être que je n'ai pas le choix, peut-être que le pouvoir exige ce genre de sacrifices. Et si c'est le cas... comment puis-je éviter de devenir un monstre, même si c'est pour une cause juste ?"

Il baissa la voix, son ton devenant plus intime. "Dites-moi, Farah, vous qui avez vu et fait tant de choses, qui avez connu un tel homme le l'avez aimé malgré tout... Comment avez-vous fait pour ne pas vous perdre ? Comment avez-vous continué à croire en ce que tu faisiez, malgré tout ce que cela impliquait ?"

S'il attendait une solution, une sorte de réconfort, un conseil qui pourrait apaiser l'angoisse grandissante en lui, Adrian savait, au fond de lui, que la question qu’il posait n’avait pas de réponse simple, ni même peut-être de réponse tout court. Il réfléchit aux mots qu’il venait de prononcer, aux interrogations qu’ils soulevaient et à la peur qui s’y cachait.

"Je me demande si, au final, c’est une question d’acceptation." Poursuivit-il après un moment de silence. "Accepter que certaines parties de moi seront inévitablement changées, que le pouvoir et les responsabilités me transformeront, que je ne peux pas tout contrôler. Mais si j'accepte cela, est-ce que je ne risque pas de devenir indifférent, de commencer à justifier des choses que je n'aurais jamais acceptées auparavant ? Est-ce que ce n’est pas là le premier pas vers le monstre que je crains de devenir ?"

Il secoua la tête, sentant le poids de ces pensées peser sur lui. "Peut-être que le véritable défi n’est pas d’éviter ces transformations, mais de les affronter, de les comprendre et de les intégrer sans se laisser dévorer. De garder une part de moi intacte, une sorte de boussole morale qui puisse me guider, même lorsque les eaux deviennent troubles."

Adrian se tut, laissant ses pensées se calmer. Il ne cherchait plus une réponse immédiate, mais plutôt un moyen de continuer, de trouver une voie à travers les ombres qui l’entouraient. "Je crois que ce que je dois comprendre, c’est que la peur de devenir un monstre ne doit pas me paralyser. Elle doit me rappeler constamment ce que je ne veux pas être, et me pousser à rester vigilant, à questionner mes propres actions, à ne jamais accepter la facilité des justifications qui pourraient me conduire sur ce chemin."

Il réalisa soudain qu'il n'avait pas vraiment besoin d'une réponse de Farah, ou de qui que ce soit. Ce qu'il cherchait, c'était une compréhension plus profonde de lui-même, une manière de concilier le fardeau du pouvoir avec l'intégrité qu'il souhaitait préserver. "Peut-être que la vraie question n'est pas de savoir comment ne pas devenir un monstre..." Murmura-t-il, comme pour lui-même. "...Mais comment rester humain, malgré tout. Comment trouver un équilibre entre les nécessités du pouvoir et les valeurs qui font de moi ce que je suis."

Il prit une profonde inspiration, se sentant un peu plus ancré, un peu plus en paix avec ces réflexions troublantes. "Je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, ni quelles épreuves je devrai affronter... Mais je sais que je dois faire face à ces choix avec lucidité, sans me mentir à moi-même, sans chercher des excuses faciles. Et si un jour je deviens ce que je redoute, si je prends des vies non par nécessité mais par habitude... alors, peut-être que ce sera le moment de tout abandonner."

Il pinça les lèvres et acquiesça, comme s'il venait de prendre une décision importante. "Mais jusqu'à ce jour, je vais continuer à me battre pour ce en quoi je crois, à chercher des solutions qui ne sacrifient pas mon humanité. Même si cela signifie prendre des risques, même si cela signifie que je dois faire face à des choix impossibles. Parce qu'au bout du compte, c'est tout ce que je peux faire. Rester fidèle à moi-même, autant que possible."

Adrian se tourna vers le lointain, une résolution nouvelle dans son regard. "Je ne veux pas fuir ce qui doit être fait, mais je veux le faire en gardant toujours à l'esprit ce qui est juste."

Ft. Farah

Adrian écouta attentivement les paroles de Farah, chaque mot se gravant dans son esprit. Elle parlait avec une sagesse forgée par les siècles, une connaissance qu'il ne pouvait qu'envier. Il se sentait soudainement très jeune, presque insignifiant face à la vastitude de son expérience. Farah avait raison sur de nombreux points, mais un en particulier le fit tressaillir. L'isolement, la solitude qu'elle voyait en lui. Cette idée, bien que cruellement juste, ne prenait pas tout en compte.

Il se redressa légèrement, cherchant à clarifier ses pensées.

"Vous avez raison, Farah, je suis seul, ou du moins que je le ressens souvent ainsi. Mais je pense qu'il y a un aspect de ma courte existence que vous n'abordez pas complètement. Contrairement à vous, qui avez dû trouver votre voie au milieu de la guerre et des tranchées, moi, j’ai toujours été entouré. J’ai grandi dans une famille aimante. Une famille qui a veillé sur moi, qui m’a protégé et parfois trop, je le reconnais. Ma mère... elle n’a jamais voulu me faire du mal en m’isolant, elle pensait seulement me préserver. Mon père, lui, m'a appris l'honneur, la justice, et à toujours chercher à protéger les miens. Ils étaient là, toujours présents, une constante dans ma vie."

Adrian fit une pause, réfléchissant à la manière dont cette surprotection avait fini par l’étouffer sans qu’il ne s’en rende compte. "Mais cette présence constante a fini par me couper du reste du monde. Et je commence à comprendre que ce n'était peut-être pas pour mon bien. Ils m’ont formé à être un prince, un futur roi, mais pas à être un homme. Ils m’ont isolé pour me protéger des intrigues de la cour, des dangers extérieurs et même des amitiés sincères qui auraient pu éclore. À leurs yeux, j'étais trop précieux pour être exposé à ces risques. Pourtant, cette protection est devenue une prison. Et maintenant, je me retrouve là, à l’aube d’assumer une charge immense, sans savoir sur qui, en dehors de ma famille, je peux réellement compter."

Il plongea son regard dans celui de Farah, ses yeux trahissant une profonde introspection. "Je ne suis pas seul, mais la solitude que vous décrivez est bien là. Ce que j'ai perdu en étant trop entouré par ma famille, c'est la capacité à construire mes propres relations. J'ai toujours eu mes parents pour veiller sur moi, mais aujourd’hui, je dois bâtir ma propre cour, trouver des alliés qui m’aideront à faire face à ce qui m'attend. Et c’est là que réside ma plus grande peur."

Un soupir s'échappa de ses lèvres. Il sentait la gravité de ses responsabilités peser sur ses épaules, une sensation de plus en plus familière. "Je sais que je dois m’entourer de personnes en qui je peux avoir confiance, qui sauront m’alerter lorsque je commencerai à dévier du chemin que je me suis fixé. Mais... comment pourrais-je reconnaître ces personnes ? Comment savoir si leurs conseils seront sincères et non motivés par leur propre intérêt ? J'ai été tellement protégé que je n'ai jamais appris à distinguer l’amitié véritable de la flatterie."

Il se passa une main dans les cheveux, signe de son inconfort, puis continua. "J'ai eu une famille, une famille qui m’a toujours soutenu. Ma mère, mon père et même ceux que l'on pourrait appeler des mentors, ils étaient là pour moi. Toujours. Mais aujourd'hui… ils m'isolent. Ils croient me protéger, ils pensent que je ne suis pas encore prêt à affronter ce monde seul. Et peut-être qu'ils ont raison, en partie. Peut-être que je ne suis pas encore prêt, peut-être qu'ils voient des dangers que je ne peux pas encore comprendre."

Il soupira, sentant la frustration monter en lui. "Mais ce qu'ils ne réalisent pas, c'est que cette protection, aussi bien intentionnée soit-elle, me prive de la seule chose qui pourrait vraiment m'aider : la possibilité de me construire mon propre chemin, de former mes propres alliances et même... de me tromper."

Adrian leva les yeux vers le ciel nocturne. "J'ai grandi entouré de gens qui m'aimaient, mais qui, d'une certaine manière, m'étouffaient. Ils m'ont protégé du monde extérieur, des dangers, mais aussi des réalités. Aujourd'hui, je réalise que cette bulle dans laquelle j'ai vécu, cette famille qui m’a tant donné, m’a aussi privé de l'opportunité d’apprendre à me débrouiller seul. De nouer de vraies relations, basées sur autre chose que le lien du sang ou la loyauté imposée par mon titre."

Il marqua une pause, cherchant ses mots. "Je n’ai jamais eu d’amis. Pas vraiment. Comment pourrais-je en avoir ? À chaque fois que quelqu'un s'approchait de moi, c'était comme si mes parents ou mes gardiens érigeaient une barrière invisible autour de moi. Ils craignaient que l'on me fasse du mal, ou que l’on m’utilise pour accéder au pouvoir. Et même si certaines de ces craintes étaient fondées, cela m'a empêché de créer des liens sincères. Comment puis-je comprendre l'amitié, la véritable loyauté, quand tout a été filtré à travers cette lentille protectrice ?"

Adrian inspira profondément, comme s'il tentait de se libérer d'un poids. "Mais maintenant, je dois changer cela. Je le comprends. Si je veux être le dirigeant que je dois devenir, si je veux éviter de devenir le monstre que je redoute, je dois former ma propre cour. Je dois trouver des gens qui ne seront pas seulement là parce que je suis le prince, mais parce qu'ils croiront en moi. Des gens effectivement capables de me défier, de me remettre en question et de me secouer quand je m’égarerai."

Il esquissa un sourire et opina du chef, avant de soupirer. "Je ne sais pas exactement comment je vais m'y prendre. Jusqu'ici, j'ai toujours été entouré de ceux que ma famille avait préféré pour moi. Je n’ai jamais eu à choisir moi-même. C'est effrayant, en un sens, de réaliser à quel point je suis dépendant des décisions de ceux qui m'ont précédé. Mais si je dois devenir un véritable roi, je dois prendre cette responsabilité. Je dois choisir mes alliés. Pas seulement des conseillers ou des courtisans, mais des gens qui voient plus loin que mon titre, qui voient la personne que je suis vraiment."

Il croisa les bras, son expression se faisant plus déterminée. "Oui... J'ai besoin de personnes capables de me dire la vérité, même quand elle est dure à entendre. Des personnes prêtes à m'accompagner sur ce chemin difficile, à me rappeler qui je suis quand je risque de m’oublier."

Adrian sourit, mais ce sourire était empreint d’une certaine mélancolie. "Peut-être que c’est ça, le plus difficile à accepter : je ne pourrai pas le faire seul. Toute ma vie, j’ai cru que je devais être fort, indépendant, capable de tout affronter par moi-même. Mais ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? Même les plus grands dirigeants, ceux dont on chante les louanges, ils n'étaient pas seuls. Ils avaient des gens autour d’eux. Des amis, des alliés. Et c’est cela que je dois trouver, maintenant."

Il se redressa, une nouvelle énergie coulant dans ses veines. "Je dois me préparer à affronter ce monde avec ma propre force, mais je dois aussi apprendre à m'entourer de ceux qui m'aideront à rester ancré. Peut-être que je n’ai pas eu l'occasion de me faire des amis jusqu'à maintenant, mais il n’est pas trop tard. Je dois trouver ceux qui croiront en moi, qui m’aideront à ne pas perdre de vue l’homme que je veux être, et non le roi que je dois devenir."