À quelques lieues au nord de la Pyramide Éternelle, le Prince avait donné rendez-vous à son Second, Eren Ulankhan. Une lettre scellée d'un sortilège aux parfums envoûtants ne s'étant ouverte qu'à son touché unique lui avait donné la route à suivre pour rejoindre son bon ami à une minuscule oasis coincée au pied de montagnes la séparant d'une forêt tropicale, avec pour seule horizon une interminable assemblée de dunes immaculées. Il serait aisé de s'y perdre, si ce n'était pour la mystérieuse flèche lumineuse de la Pyramide du Pharaon qui rappelait le cap aux Qalishis.

Au creux de ces dunes, une khaïma aux armoiries royale fut dressée par la simple volonté du Prince, qui s'était emparé du matériel nécessaire en amont de ce voyage, entreposé là où seul son esprit pouvait s'aventurer. Un immatériel propre à son empreinte d'où sortaient vases et draperies diverses, tapissant l'intérieur de cette tente pour fournir, main dans la main avec sa domination sur la matière, un lieu d'intimité, de luxe et de repos. Un éphémère obélisque s'était aussi levé des entrailles de la terre, surplombant la plus haute des dunes alentours en guise d'ultime phare au chemin tout tracé du Khan.

Le choix d'un tel endroit pour retrouver l'homme-bête n'était dû au hasard, car quand bien même l'individu était au sommet des polémiques récentes et que leur relation pouvait jeter une ombre sur le rôle d'héritier, il ne s'agissait pas seulement d'une rencontre secrète à l'abris des regards, mais d'un endroit où tout pourrait être délié, libéré et exploité sans la crainte du moindre soucis, sans mesure ni retenue.

Tous deux détenteurs d'un œil divin, ils se devaient d'honorer la confiance divine et pratiquer assidûment ce don pour non seulement rendre grâce, mais aussi survivre et grandir dans ce monde de nouveaux conflits où la puissance d'un individu allait peser dans la balance internationale. Theles était un sorcier, il approchait le pouvoir par l'érudition et les pratiques occultes de la sorcellerie, appliquant ces derniers sur sa maîtrise de l'élément géo. Il voyait en Eren un guerrier béni qu'il pourrait accompagner dans la quête du pouvoir en lui permettant de canaliser, pratiquer et améliorer sa puissance.

C'était également une occasion de se mesurer l'un à l'autre, d'appréhender la logique de chacun, se rapprocher et établir une connexion, une cohésion, chose que les deux hommes n'avaient eu le loisir d'accomplir hors de courtes entrevues.

Patientant l'arrivée de son estimé compagnon, Theles s'était plongé dans une transe studieuse au bord de l'eau, en face de cette tente solitaire. Le grimoire d'incantations Hasis flottait au dessus de ses genoux, lui même s'élevait du sol, assis en tailleur sur un coussin d'air invisible, porté par une concentration entremêlée d'une lecture cryptique des écrits. Autours de lui, le sol était devenu vivant, traversé d'ondulations mouvantes comme la surface dérangée d'un lac placide, alors que parfois des pointes de sable s'élevaient sur une coudée avant de s'effondrer comme des sabliers, avec mesure et lenteur, fondant et disparaissant dans les vaguelettes, évoquant une certaine sensualité née de la stabilité de l'évocation du Prince. Partenaires dans la danse de ces éléments, son léger habit prenait au vent de ces émanations, sa cape caressant son échine nue alors qu'un mince pantalon d'étoffe noire coupé verticalement aux tibias se échangeait continuellement ses plis pour d'autres... De même, ses mèches prenaient l'envolée, rendant une touche de jeunesse arrogante à ses traits relaxés.

Quelle plaie c'était d'être un visage connu. Pour n'éveiller aucun soupçon, il était parti de son camp à l'aube, destination une oasis perdue en plein désert. Bien heureusement pour le nomade aguerri, ce n'était pas un problème de se diriger seul dans le désert, encore plus quand une flèche géante brillait dans le ciel comme un astre. Vêtu tout de noir, encapuchonné pour qu'on ne puisse voir ses oreilles de chacal, seul le regard albâtre et sévère dépassé d'un foulard qui contraste complètement en couleur.

Une plaie, vraiment, cet accoutrement étouffant était seulement pour être sûre que personne ne pourrait le reconnaître, son visage étant maintenant connus de tous après son coup d'éclat. De plus, le Khan avait tendance à croiser des personnes importantes juste en allant faire ses courses à Shamedar... Dans un endroit aussi reclus au moins, il serait tranquille, voir apaisé. Une douce brise l'accueille quand il gravit la dernière dune, la royale tente était désormais palpable, après un pénible périple.

Eren se laisse glisser sur le sable jusqu'à atteindre le bas de la dune, poussant tout le long de la descente un soupire de soulagement. Ce n'est qu'une fois relevé qu'il remarque le prince en pleine méditation, à côté de l'eau. Il était de toute évidence que c'était plus qu'étranger pour le guerrier ces histoires de transe et de grimoires, lui qui utilisait son pouvoir divin comme la brute qu'il était.

Mais ce n'est pas pour autant qu'il n'allait pas admirer. À pas de velours, l'homme bête s'approche, le regard contemplatif. C'était étranger certes mais c'était d'une beauté incroyable que de voir le jeune homme maîtriser ainsi les éléments autour de lui, dans une harmonie parfaite, flotter en l'air avec une grâce qu'il n'avait jamais vu avant.

Il arrive enfin à quelques mètres du prince, s'arrêtant pour se racler la gorge avant de s'annoncer à haute voix ;






La capuche s'abaisse alors, laissant tomber avec elle son lot de sable, libérant sa chevelure et ses longues oreilles. C'est la tunique entière qui est couverte de sable mais, au moins le visage balafré du guerrier est épargné et sur celui-ci d'ailleurs se lisait une certaine inquiétude. Il ne voulait pas surprendre le prince en pleine transe en débarquant comme une brute, car, qu'il aurait cru, il tenait à être le plus doux possible avec son collaborateur. Histoire de se racheter un peu et d'effacer cette image de barbare qui lui collait à la peau.

Planté à côté du Prince, il attendait sagement maintenant, une paupière à demi fermé à cause d'une bourrasque dirigée vers lui.