Une sombre histoire d'huîtres frelatées

Le port était toujours aussi animé. Quand le reste du monde s’endormait, les villes côtières, elles, ne fermaient jamais l’oeil. C’était rafraîchissant, dynamisant… et parfaitement épuisant.
C’était la dernière journée de Grant dans la baie de Vassago, après cette mission d’inspection qui n’avait rien donné. Le lendemain, il repartait vers le nord en direction de la capitale, et il n’avait pas peu hâte. Le climat du bord de mer avait ses limites, et si l’air iodé était bon pour la santé -à ce qu’on disait-, l’humidité permanente et les effluves d’algues et de poisson qui régnaient sur les quais avaient tendance à lasser son homme, au bout d’un moment.

Malgré le mal du pays et sa lassitude certaine, Grant profitait de son dernier jours pour visiter le port en tant qu’honnête citoyen lambda, et non pas comme garde du palais affecté à une mission qui sortait parfaitement de ses cordes. Le travail monotone qu’il avait dû fournir les jours précédents avait entaché son habituelle bonne humeur, et pour ceux qui le connaissaient bien, son éternel sourire semblait un peu forcé, ces derniers temps.

Néanmoins, il prenait un certain plaisir à déambuler ainsi sur les quais de la ville. Son statut n’était plus un frein, et il lançait des saluts enjoués aux marins et dockers qui le reconnaissaient, ou acceptait sans vergogne les palourdes grillées et les brochettes de poisson qu’on lui mettait dans les mains. Sans son armure et sa lourde arme d’hast, il se sentait certes, un peu diminué, mais aussi plus léger. Et surtout, plus anonyme. Les regards méfiants et les silences qu’on réservait habituellement aux représentant de l’autorité avaient disparu.

Grant était en train d’observer l’étal d’un vendeur d’huîtres -pêchées le matin même, les plus fraiche et les moins chères de tout le marché, si on en croyait l’écriteau- quand un poids sur son bras lui fit lever les sourcils. Il y découvrit une femme aux airs de lapin effarouché, balbutiant un discours qui ne faisait pas beaucoup de sens. Mais rapidement, les pièces se mirent en place dans son esprit, et la situation lui apparut claire.

Elle avait peur, et s’était réfugiée auprès du premier type grand et musclé qu’elle avait croisé pour la débarrasser de deux gêneurs. Sans s’imaginer une seconde qu’il pourrait être aussi dangereux que ses poursuivants, voire plus.

Bon, elle avait de la chance. Et de l’instinct, peut-être.

En revanche, si elle s’était imaginée une seconde éviter le scandale, elle avait mal choisi sa cible. À peine eut-elle terminé sa phrase que la voix puissante de Grant s’éleva dans les airs, couvrant le brouhaha du port et faisant tourner quelques têtes dans leur direction. « EH ! Vous là, foutez le camp ! Vous avez pas honte d’emmerder les dames ? » beugla-t-il en direction des deux suiveurs, qui se figèrent, manifestement incertains quant à la marche à suivre.

Puis, Grant reporta son attention sur la femme qui avait surgit de nulle part. Sa tenue n’était pas très adaptée pour une promenade au milieu des docks, où il fallait enjamber filets, débris de caisses et entrailles de poisson qui traînaient sur le sol. Il pivota sur lui-même, traînant avec lui la femme pour tourner le dos aux deux hommes. « Ignorez-les, ils vont finir par partir. Et s’il sont assez bêtes pour rester… Mais faites comme si la seule chose qui vous intéressait, c’était ces huîtres. Vous en voulez une ? » demanda-t-il avec un sourire joueur, attrapant l’une des huîtres sur l’étal pour la mettre sous le nez de la jeune femme. Avec un peu de chance, les deux abrutis auraient écouté son conseil et pris le large, et ils n’auraient pas à jouer cette comédie très longtemps.

(code) awona // ft. odrade