Une très large escorte, prenant bien plus les aspects d'un cortège militaire, progresse ainsi entre les tentes et les marchés perturbant, à dessin,  l'activité de cette petite oasis, point de passage fréquenté entre la prospère Shamedar et le siège du Grand Rassemblement.

Leur chef surplombe cet attroupement sur un dromadaire blanc. La peau nue, sans autre arme que ses griffes, une longue écharpe rouge, parsemés de dorures multiples, finit par lui couvrir la bouche comme un chèche et couvrant sa tête comme une capuche. Une ombre masque une partie de son visage. Des cors résonnent dans les lieux. Une voix s'élève.

“Veuillez laissez place à la Déesse-Guerrière Tareem, fille de Kasha, éminente représentante de notre peuple ! Montrez vos respects en libérant la voie !”

La figure politique oblige à ce qu'en des lieux publiques les choses s'annoncent ainsi. La troupe en armes arrive vers une place où siège déjà Eren Ulankhan. Les hommes semblent prendre une posture très hostile comme préparer à un conflit, encerclent à demi l'endroit, tout en tenant une distance adéquate. Alors que la population aurait apprécié accueillir la Déesse-Guerrière la plus accessible au bas peuple, cette ambiance leur fait prendre peur. La marche s'arrête dans un silence pesant. La tigresse saute de sa mouture. Avec une garde rapproché, elle s'avance à portée de voix de son interlocuteur.

“Après tout ce que je t'ai appris, tu n'a pas pensé une seule seconde que cela pouvait être un piège.”

D'une grande désinvolture, elle soupire sans pour autant donner le moindre ordre à ses hommes.

“Le Prince t'a bien trop adouci.”

Tareem retire ainsi sa capuche pour révéler son visage balafré.

“Soit, vas-tu agir comme le toutou que tu as été lors de mon entrevue avec le jeune Hasis? Montres donc tes respects comme leur peuple servile le fait si bien, petit Khan.”

Après tout, ici, il n'est qu'un mercenaire du Prince qui n'a pas encore payé pour ses crimes. Il serait bien aisé de jouer la carte de l'accident fâcheux. Qui s'en plaindra à part le Prince? Ne serait-ce pas idéale de désarmer cet héritier moribond qui ne pense aucunement aux respects des valeurs tribales ?

“Comment oses-tu…”

Tareem lève le bras pour interrompre la parole scandalisée d'un de ses lieutenants. Elle esquisse un faible sourire en constatant avec une pointe de soulagement que la hyène n'est finalement pas si dompté qu'elle en avait l'air en présence du Prince.

“Quelle langue habile. J'aurais presque eu l'envie de crier à l'unisson avec le reste de tes hommes.”

L'ironie cesse rapidement lorsque son air sérieux reprend le dessus. Face à l'insulte, Tareem est obligé de répondre. Et elle n'hésite à user d'une familiarité grasse montrant bien la différence de rang et de statut.

“Cessons les discours de rêveur un moment, tu veux? Sinon, autant continuer à me faire chier avec l'autre. Je n'ai jamais limer mes crocs, et je ne compte pas le faire, même si ton prince et toi pissaient dans votre froc à la moindre bousculade de ma part.”

Elle souffle du nez. Tareem ne semble pas vivre dans le même monde que son interlocuteur. La réalité qu'elle constate est tout autre.

“Tu parles comme si tu étais indomptable, mais tu t'es fait latter la gueule. Et te voilà à servir, plutôt qu'à conquérir. Quel orgueil a tiré de ta situation ? Tu n'es que le chien de garde des Hasis.”

Ses hommes semblent en rire et s'en moquer à voix basse. Pour un tel discours de sa part, cet état de fait est assez triste. Tareem comprend qu'il doit défendre le peu de dignité qu'il lui reste en exagérant sa grandeur. Mais cela frôle la parodie. D'un geste, elle demande un siége que des serviteurs lui apportent en vitesse. En soupirant, la tigresse s'assoit et continue avec une certaine lassitude dans sa voix.

“Nous savons bien tous deux que tu fais tout dans ton propre intérêt. L'union, tu te torches avec. Sinon tu saurai que l'on ne tient pas l'équilibre sans faire des lois fastidieuses et tempérer les conflits. Mais, le petit Khan, apprécie agiter ses armes étrangères en se targuant d'avoir accompli quelque chose dont notre peuple se fout.”

Son regard se durcit subitement. La fille de Kasha sait bien que pour le fougueux Eren, les Bat-déserts, c'est toute sa vie. Mais, pour Tareem, l'esprit clanique et tribale qu'elle a donné à ce groupe hétéroclite, n'était qu'une manière de retrouver l'esprit du clan de ses origines. Aujourd'hui, elle tente de renouer avec son passé autochtone et comptent bien redorer la tribu des Kashavesh dans l'histoire de Qalish.

“Tu ne sais rien de la terre de mes ancêtres. Mon clan n'est pas les Bats-Désert. Il ne l'a jamais été.”

Sa voix est lourde du poids de ses mots. Elle a passé une grande partie de sa vie auprès des Bat-déserts. L'ayant façonnée pour la réussite, Tareem l'a finalement quitté avec ses plus fidèles compagnons. Elle a vu d'autres opportunités à un moment de sa vie, où des regrets de son passé tribal ont resurgi. Il lui est impossible de l'exprimer encore à ce jour, alors elle ne dit mot sur la réputation d'opportuniste qu'il lui donne.

“Tu oublies bien trop de règles de respect, mon garçon. Tu penses sortir indemne de cette entrevue en continuant à brailler ? Je serai moins patiente qu'à notre dernière rencontre. Je n'ai aucunement peur de vexer le Prince en t'écrasant ici-même. Ce serait même un plaisir.”

La Déesse-Guerrière se penche un peu plus en avant sur son siège.

“Voyons,  d'abord, quelle valeur à cette main tendue avant de la couper. Vois-tu, les humains se développent différemment de nos tribus. Nous ne faisons pas de richesse de la même manière. Notre force réside dans notre rudesse et notre puissance brute. Sans ennemi ou projet commun, le banditisme sera toujours alimenté. Il faut une cause pour rallier. Ainsi, que penses-tu d'une terre à piller pour faire affluer des richesses dans nos hommes, renforçant nos forces et préservant notre cohésion tribale?”

La Déesse-Guerrière s'affale à nouveau sur son siège, visiblement très peu amusé par le discours de son ancien disciple. Elle laisse échapper quelques mots à voix basse, dont un de ses lieutenants tant l'oreille.

“Je crois que je l'ai perdu.
-Il doit sans doute paniquer, Déesse-Guerrière. Mais, cessons de lui donner plus de crédit. Il pense pouvoir traiter avec vous comme une homologue. Il oublie qu'il ne fait que rallonger la liste des bonnes raisons de le condamner ou de le tuer.
-Certes, ce sera ma dernière tentative. Va préparer les hommes.”

À la fin de ses murmures, son lieutenant semble satisfait de cette reponse et rejoint, ainsi la troupe, pour préparer les archers camoufler par une première ligne de cavalerie et d'infanterie. Elle attend ainsi patiemment la fin de ses mots. La tigresse sait qu'une haine semble naître en lui. Après tout, elle l'a abandonné en quelque sorte. Sa tolérance n'est due qu'à cette empathie presque maternelle. Pourtant, aucune expression ne transparaît la moindre affection pour son interlocuteur. Elle a toujours paru dure et sans cœur à cause de cette maîtrise spartiate de ses plus tendres émotions.

“Je ne peux m'en prendre qu'à moi même. Cette situation doit beaucoup trop t'agiter. Tu n'arrives plus à contrôler ta bouche.”

Se tenant la temps avec ses doigts, la Déesse-Guerrière fixe son interlocuteur.

“Je ne rejette absolument pas les humains. Je protège les intérêts des tribus. L'union n'est pas à remettre en cause. L'avenir que projette le Prince n'a rien à voir avec les visions du Pharaon. C'est plus envers lui que je suis méfiante. Ce sont des terres étrangères et, déjà sous tension, que je vise.”

Pourquoi remettrait-elle en cause le Pacte Éternelle ? Tant que ce n'est pas le jeune Prince aux commandes, il n'y a rien à craindre. Tareem cherche simplement à renforcer les tribus. Elle semble être la seule à comprendre pourquoi il est nécessaire que le Grand-Rassemblement préserve sa structure et que toutes initiatives de pacification amoindrissent les caisses et, sans argent, les armées s'affaiblissent comme les allégeances. Et les tribus en manquent se retourneront les unes contre les autres. Un Grand Rassemblement fort préserver la poudrière que peut devenir le désert. Et les hommes-bêtes doivent rester fort pour tirer profit de cette union autant, voir plus que les humains. Le peuple du désert et le peuple de la Pyramide sont différents et ne partagent pas du tout les mêmes valeurs pour le moment. Le plan de Tareem est justement de solidifier l'emprise des Dieux-Guerriers sur les tribus et, ainsi, contrôler au mieux le mouvement sans défection fâcheuse.

“Tu transpire l'envie d'être reconnue comme un véritable clan, une tribu capable de fédérer. Je te propose simplement de grandir, petit Khan. Pour le moment, tu ne fais qu'attiser le mépris de mes hommes, qui ne te voient ni comme frère, ni comme semblable.”

Les origines des Bat-déserts n'ont rien de véritablement glorieux. Il n'ont aucun ancêtre commun, ni mythe fondateur. Ce n'était qu'une conséquence des guerres incessantes qui créa orphelins, pauvres jeunes gens sans rien et déserteurs. Il a été fort et aurait pu devenir une force important, mais sa nature hétéroclite ne donne comme véritable force fédératrice que l'argent. Ce n'est pas ce qui fait vibrer la Déesse-Guerrière. Renouant avec l'honneur tribal, elle veut construire un liant bien plus puissant entre toutes les tribus hommes-bêtes. Uni, le monde ne peut leur résister.

“Il n'y a aucune question de trahison, à moins que tu n'admettes être le serviteur du Prince. Dans ce cas-là, cela ne fait que confirmer la réalité de ma déception.”

Eren a le choix. Servir les hommes et le Prince qui ne cherche qu'à développer ses atouts en ignorant la nature du peuple du Nord. Ou vivre véritablement comme une tribu, découvrant la cohésion des clans, l'honneur des champs de bataille et la précieuse puissance du Grand Rassemblement. Tareem persiste à croire que sans cette force fédératrice pour tenir les tribus, Qalish est condamné.

"Je t'ai fait une proposition. Je ne la répéterai pas."

La Tigresse se relève. D'un mouvement de tête, des serviteurs accourent pour reprendre le siège et disparaître. La réponse du Petit Khan sera déterminante.

Une charge donc. L'issue la plus risquée pour son adversaire, qui ne fait que s'enfoncer dans l'étau de l'armée de la Kashavesh. D'un geste, Tareem ordonne à son escorte de rejoindre les hommes. Alors que ses troupes se préparent au combat, l'infanterie s'avance pour lever des piques en avant et encaisser le choc. La cavalerie de chameliers quand à elle se dirige vers les flancs pour compléter l'encerclement. Eren, dont la colère et le dédain semble marqué son regard, est, ainsi, le premier à attaquer la Déesse-Guerrière. Malgré sa rapidité fulgurante, Tareem parvient à esquiver de justesse tout en se rapprochant de ses hommes. Des flammes lui brûlent tout de même une partie de sa peau et des mèches de cheveux.

Bien que cet appel au duel est ressenti par la tigresse comme un cri du cœur, l'essentiel de sa manœuvre ne peut fonctionner si elle n'est pas proche de ses hommes pour les rassurer. Alors que la charge adverse percute les piques et que les fusils ont donné leur salve, les premiers hommes tombent.

Tareem fixe son adversaire avec un brin de mélancolie.

“C'est donc ainsi que tu envoies tes hommes à la mort. Il y avait d'autres solutions, petit Khan. Ton impulsivité te perdra.”

Au milieu du front, elle esquive sans peine, un des cavaliers chargeant. Elle crie un instant à ses hommes à pieds.

“On tient la position !
-Pour l'honneur de notre Déesse-Guerrière !”

D'un geste provoquant envers Eren Ulankhan, elle continue t'utilises sa colère à son avantage. Sa stratégie est cruelle pour ses propres sentiments mais c'est ainsi qu'elle enterrera la crédibilité du Prince.

“Petit Khan. Si tu es prêt à tous les sacrifices pour tuer celle qui t'a recueilli, donnes tout ce que tu as sans le regretter. Ce n'est plus un jeu !”

Laissant la cavalerie s'engouffrer dans l'infanterie, les chameliers sur les flancs tentent de prendre de revers les fusiliers, pendant que la première slave de flèches visent les planqués, exécutant leurs chevaux.