Pleine de sueur, sous les étoiles de la nuit, une femme à la peau tigré s'exerce au milieu d'une cour. Effectuant des pompes sur le sol sec, elle ne semble pas arrêter la contraction répété de ses muscles malgré ses grimaces. Combien de temps a-t-elle entretenu ce rythme effréné ? Un groupe de personnes ont l'air de patienter sous des colonnades non loin. Lorsqu'elle se redresse enfin, ces personnes sursautent comme sorti de leur torpeur. Accourant avec une bassine, des serviettes et une grande écharpe rouge, ils se mettent au petit soin de cette tigresse aux muscles saillants sous la lueur du croissant de lune. L'un des serviteurs brisent montre ses respects.

“Déesse-Guerrière, n'êtes vous pas en train de vous surmené ? Je prie les dieux pour que vous puissiez regagner vos couches.
-Vous n'êtes pas obligé de veiller pour me servir.
-Comment pourrais-je ? C'est mon devoir de chambellan ! Votre sommeil ne devrait pas être négligé. Le scribe va s'en inquiéter.”

Tareem Kashavesh, au sommet de ce que l'on appelle le Grand Rassemblement, semble tarder à regagner ses couches. Offrant un simple hochement de tête à son chambellan, elle lève la tête vers le ciel, un instant.

“Vous paraissez préoccuper. Auriez-vous du remord d'avoir envoyé mon seigneur Nasim en mission?
-C'est le meilleur choix.
-Vous devez vous sentir attaché. Il vous suit depuis vos maigres débuts.
-Personne d'autres n'auraient pu accomplir une tâche pareille.
-Qu'est ce qui vous le fais pensez?
-Il y a des liens que la distance et le temps ne peuvent briser. Peu importe où je l'envoie, je sais qu'il ne m'oubliera pas. Ce sont les liens de sang.
-Votre cousin comprend certainement la confiance que vous lui accordez.
-Suis-je détestable pour avoir éloigné mon plus fidèle lieutenant?
-Je ne suis pas en mesure de déceler la complexité de vos relations. Mais, je suis certain qu'il attendait impatiemment un jour pour vous rendre tout le soutien que vous lui avez apporté lors de la mort de sa femme et de l’enfant qu'elle porté.”

La femme tigre soupire. Ses esclaves viennent lui essuyer la sueur de son corps avec des serviettes. Fixant le sol, elle reste, néanmoins, pensive. Car cette situation n'est due que par les ambitions ridicules d'un seul bandit, à présent, laquet du Prince : Eren Ulankhan.

“De mon regrettable passé, Eren est, à présent, le pire.
-Je comprends votre ressentiment.
-Mizutsune subira les conséquences qui en incombent.”


Sous la lumière des torches et des lampes des passants, un homme-bête à la peau tigré traverse encapuchonné le quartier mouvementé de l'Oasis. Un quartier regroupant la frivolité et la beauté des plaisirs divers. Cependant, le visage dure de ce personnage contraste avec tous ses gens venus s'adonner à des nuits légères. Ignorant quelques racoleurs, il finit par entrer dans un établissement sans envergure. Ce salon de thé est un endroit plus tranquille malgré les serveuses attirantes. L'ambiance qu'a voulu donné le tenancier est loin des endroits de débauches habituels. Il mise sur un environnement calme dans un endroit agité. De quoi attirer divers savants, fonctionnaires ou professeurs discutailler et débattre en détente et sans craindre d'être déconcentrés par de la viande saoule ou des corps dénudés. L'homme tigre s'approche du comptoir.

“Tes ancêtres te saluent, mon frère. Que puis-je faire pour toi?
-Je viens pour des affaires qui demandent beaucoup de discrétion.
-J'entends bien mais, ici, j'ai juste de belles esclaves pour servir du thé et du tabac à mes clients. Si vous désirez plus, il y a des sombres lieux plus adéquats. Que mes ancêtres m'en préservent.
-Je ne suis pas venu m'amuser. Je cherche quelqu'un, et quelqu'un de capable du pire et du plus ambitieux pour un prix. Quelqu'un comme la Vipère.”

Cette évocation laisse le patron silencieux, un instant. Scrutant les alentours, il s'approche du mystérieux bonhomme aux allures suspectes. Son sourire poli s'affaisse et sa voix baisse.

“Faites attention lorsque vous évoquez ce nom. C'est plus dangereux que vous ne l'imaginez. Je crains ne pas pouvoir vous aider.”

D'un soupire, le tigre dépose quelques pièces d'or sur le comptoir. La bonne humeur du patron du lieu revient en un instant.

“Vous savez faire valoir vos arguments. Que puis-je vous servir?
-Contentez-vous de passer le message qu'un certain Nasim à un contrat à offrir.”

L'homme-bête quitte ensuite le salon sans se retourner. Le tenancier range les pièces en faisant une légère moue.

“Qu'il est désagréable ce gus.”

Un gémissement grave résonne dans la pièce. Le son du tissu se froissant se fait entendre dans le silence. L'homme-bête décale le drapé d'une main avant de siéger au bord du lit. La paume appuyant sur son crâne, l'homme-bête s'assoie au bord du lit. Il fixe du coin d'un œil l'intruse.

“Je ne vous attendais pas aussi tôt.”

Le bras tombant sur son genou, il soupire. Son sommeil n'était perturbé que par un énième cauchemar. Il se redresse en enfilant une simple écharpe. La carrure d'un mercenaire déjà aguerri, il utilise une pierre à feu pour allumer sa lampe.

“Un contrat proposé par un proche d'une grande ponte de Qalish suffit à risquer votre peau pour vous infiltrez, ici. Votre réputation n'est donc pas qu'un fantasme.”

Une fois une nouvelle lueur perçant la pénombre, Nasim s'approche de l'assassin sans prudence. Il semble entraîner à garder son sang froid en toutes circonstances.

“Votre talent me sera utile pour sécuriser mon départ. On ne veut plus de moi, ici. Je casse avant que l'on me chasse.”

Il masque son agacement avec difficulté. Il n'avait pas envie de partir mais on ne l'a en rien chassé. Ce n'est qu'une histoire pour éviter que la Vipère ne perçoive trop rapidement les plans de la Déesse-Guerrière. Son devoir, le cousin de Tareem l'accomplit toujours, même à contre-cœur. Depuis l'annonce de cette mission, ses cauchemars sont revenus.

“Là où tous les renégats se réunissent sera le mieux. Les quais de Mizutsune, vous avez déjà visité ce trou ?”

Il pourrait aller n'importe où avec sa cousine qu'il respecte profondément malgré quelques disputes. Mais, sans elle, il se sent abandonné et de vieux démons refont surface. Nasim reste un guerrier avec une volonté de fer. Il sait prendre sur lui-même pour la gloire de son clan. L'homme-bête tend ensuite une liste de noms.

“J'ai des contacts qui m'ont prévenu qu'une bande de contrebandiers qalishis se tailler leur bout de gras. Il suffit de décapiter les têtes pour que d'autres les remplacent. Vous voyez où je veux en venir? Il faudra traverser le désert en ma compagnie et tuer ces cibles. Votre prix ?”

Déjà insomniaque, le caractère directe du tigre n'en est que plus renforcé. Le regard sévére fixe cette sombre femme.

“C'est le contraire ! Je vous ai proposé de vous escorter et d'assurer les frais du voyage."

Il a bien failli foirer sa mission à peine commencé. Décidément, il préfère tellement la rigueur du mercenariat à l'ombre des intrigues. Serrant les poings par réflexe, son stress se ressent devant les agissements de cette femme. Telle la brume, celle-ci pourrait lui échapper à n'importe quel moment.

“Si vous pensez parvenir aux Quais de Mizutsune par vos propres moyens, tant mieux. Je préfère voyager seul.”

Le tigre s'avance sur le balcon. Il s'appuie sur la rambarde. Contemplant l'étendue de la cité qu'il doit quitter, il soupire, un instant, avec un air mélancolique. Fonçant les sourcils, l'homme-bête se reprend d'un ton plus grave.

“Éradiquez juste ces vermines. Rien de plus, rien de moins. Je m'occuperai du nettoyage derrière. Cela convient-il à vos exigences ?”

Son dernier questionnement est emprunt d'un certain sarcasme. Il n'apprécie pas cette situation. Cette impression de devoir quasiment supplier les services d'une inconnue le débecte. Tareem lui impose une lourde peine avec cette tâche. La discrétion étant indispensable, cette Vipère en est devenue la solution idéale. Et la Déesse-Guerrière refuse de laisser l'idéal filer. Nasim préfère être marqué au fer rouge que de décevoir sa cousine.

Les poils de l'homme-bête se hérissent au toucher de la Vipère. Des frissons lui parcourent le dos jusqu'à ses oreilles. Celles-ci frémissent un instant. Personne ne le frôle ainsi sans attirer sa colère. Sa main dangereuse se crispe. La rambarde qu'il tenait se fissure. Mal à l'aise, il se déplace un peu plus vers sa chambre sans regarder cette femme, de peur qu'il ne parvenir plus à se contrôler.

“Une tête ? C'est une hydre. Il faudra en tuer au moins cinq. Le prix suivra les risques.”

D'un râle profond, il calme ses réactions prédatrices avant de faire à nouveau face à cet assassin des ombres. Il tend une seconde fois le papier où sont indiqué le nom et une description rapide des individus.

“Je préfère éviter de le dire à voix haute. Voici les noms. Vous les retrouverez dans le quai le plus à l'Ouest de Mizutsune. Ils y tiennent leur comptoir. Le reste sera à la discrétion de vos méthodes.”

Nasim arrache ensuite la bourse remplie de pièces d'or accrochée à sa taille. Son regard alerte, l'œil du tigre est sur le qui-vive. Il laisse ainsi tomber la bourse sur un des sièges remplis de cousins à l'intérieur. Le cousin de Tareem connaît ses limites, un reflex trop vif de sa part et c'est la fin du partenariat.

“Cela dit, si vous réussissez cette mission périlleuse. Je pourrais vous proposer bien plus de contrats alléchants. Pour le moment, voici un dixième de notre prix. Le reste sera débourser lorsque ces renégats seront six pieds sous terre.”

Sa stratégie est de conserver une certaine distance de sécurité. Laisser cette femme le manipuler avec ses delicatesses comme si elle voulait s'infiltrer au sein même de son âme le rebute vivement. Il comprend le grand talent derrière cette beauté mortelle. Le choix de la Déesse-Guerrière était bien éclairé.

“Marché conclu?”